Le piège des idées reçues
Chamfort disait qu’il y a à parier qu’une idée reçue est une sottise du fait qu’elle a convenu au plus grand nombre. Malheureusement, l’opinion de la majorité est si forte que les idées reçues perdurent à la face même de l’évidence qu’elles sont erronées.
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Les idées reçues inspirent nos comportements
Une idée reçue est une idée que l’on endosse parce qu’elle reflète l’opinion de la majorité de nos pairs.
Quand on demande aux gens pourquoi ils endossent une idée reçue, ils assurent que leur opinion découle de leur libre-arbitre. Dans bien des cas, il n’en est rien. Pour plusieurs, le seul fait qu’une idée soit endossée par les gens avec qui on aime s’identifier prouve qu’elle est justifiée. Endosser une idée reçue procure une assurance sans effort.
Combattre une idée reçue est une aventure risquée. Elle compromet notre besoin d’appartenance (1). C’est pourquoi il est rarissime qu’elle fasse l’objet d’une analyse critique.
Les idées reçues sont souvent erronées
Jusqu’au 17e siècle, des millions de personnes croyaient que la Terre était plate et qu’elle était le centre de l’univers. Ces croyances étaient déjà peu crédibles. Dans le premier cas, Aristote (3e siècle av. JC) avait apporté les premières preuves de la forme arrondie de la Terre. Dans le 2e cas, Copernic (16e siècle) avait déjà réfuté la thèse du géocentrisme. Malgré tout, le seul fait de défendre une évidence scientifique non endossée par la foule, valut à Galilée d’être jugé comme hérétique par le tribunal de l’Inquisition.
Ce n’est pas parce que des millions de personnes croient à une chose stupide qu’elle est moins stupide. Mais l’opinion de la majorité est si forte que les idées reçues perdurent à la face même de l’évidence qu’elles sont erronées.
Aujourd’hui, nous examinons certaines idées reçues qui peuplent l’univers de l’investissement boursier.
1 – L’importance de se tenir informés
On enseigne que pour avoir du succès en bourse, on doit se tenir informés de l’actualité économique et boursière. Dans les faits, les investisseurs prennent de mauvaises décisions parce qu’ils portent beaucoup d’attention aux nouvelles que tout le monde connaît. Résultat : ils passent du temps à chercher des réponses, à lire des market outlooks et à s’inquiéter des marchés.
Ce faisant, ils sont toujours en retard. D’une part, parce que les informations qu’ils croient importantes sont déjà prises en compte dans les cotes boursières. D’autre part, parce qu’ils ne savent trop comment interpréter l’information au-delà de ce qu’en disent des experts prétendus ou avérés.
Ignorer le déluge d’informations colportées dans les médias est une stratégie beaucoup plus payante (2).
On peut se tenir au courant de l’actualité financière. Mais ce n’est pas ce qui fera de nous de meilleurs investisseurs.
2 – La priorité accordée à la valeur du portefeuille
L’investisseur typique vérifie la valeur de son portefeuille à chaque jour. Lorsque la valeur baisse, c’est la déception. Si elle monte, l’espoir revient.
Les publications des banques et des cabinets de placements entretiennent cette obsession. À chaque mois, de grandes institutions financières publient des commentaires sur les marchés boursiers. À ceci s’ajoutent les articles d’une panoplie de publications financières spécialisées, dont les contenus sont même accessibles gratuitement en ligne. Toutes sont focalisées sur les éléments susceptibles de faire varier les cours boursiers à court terme.
Cela est d’autant plus déplorable que l’investisseur moyen a du mal à comprendre deux choses :
A – La raison pour laquelle les cotes boursières fluctuent
La bourse ne baisse pas parce que les nouvelles économiques sont mauvaises. Elle baisse parce qu’il y a plus de vendeurs que d’acheteurs. Or, deux sentiments dictent le comportement des investisseurs : la peur et la cupidité. C’est ce qui détermine les fluctuations à court terme de la bourse. Comme il s’agit d’émotions, il en résulte que les fluctuations boursières qui en découlent sont souvent injustifiées, mais toujours excessives.
B – Les deux attributs d’un titre boursier
Un titre boursier possède deux attributs : un prix et une valeur.
Le prix, c’est sa cote boursière.
La valeur, c’est la somme actualisée des flux de trésorerie qu’il devrait procurer à son détenteur tant que celui-ci en sera le propriétaire. Ces flux de trésorerie sont les dividendes ou intérêts versés, plus le produit de la vente du titre à une date ultérieure.
Le prix d’un titre correspond à sa valeur dans le seul cas où le détenteur veut s’en départir immédiatement. Mais le prix est instable; il fluctue à tous les jours. Plus la période de détention est longue, plus les variations de prix seront prononcées. La valeur est appelée à varier, mais elle est beaucoup moins volatile (3).
Celui qui investit dans le cadre d’une approche fondamentale (4) détient un titre tant qu’il estime que sa valeur est supérieure à son prix. En second lieu, il privilégie les titres qui paient des dividendes (5).
L’investisseur accorde une importance démesurée à la valeur boursière de son portefeuille. Il y voit le « petit cochon » de son enfance. Quand la valeur du portefeuille baisse, c’est comme si on avait vidé une partie de son petit cochon.
Il faut se défaire de cette image héritée de l’enfance.
Le portefeuille de placements n’est pas un petit cochon : c’est une usine qui fabrique de l’argent. L’attention doit être portée sur ce qu’il produit, pas sur une valeur boursière qui passe son temps à fluctuer.
3 – Tenter de contrôler ce qui nous échappe
Il faut être capable de distinguer les choses que l’on peut contrôler de celles qui nous échappent.
Plusieurs investisseurs sont préoccupés par les éléments qu’ils ne contrôlent pas: l’inflation, les taux d’intérêt, les déficits publics, les conflits politiques et sociaux, etc.. On peut en attribuer la raison au fait que la presse financière traite précisément d’éléments incontrôlables susceptibles d’influencer les cours de la bourse
Par association, on conclut que ce sont les facteurs qui devraient influencer les décisions de placements.
Qu’on se le dise une fois pour toutes : peu importe les événements, il est impossible de prévoir la direction du marché boursier (6). Il est donc inutile de porter attention aux prédictions et conjectures dont on nous abreuve constamment.
Les investisseurs responsables se concentrent sur ce qu’ils peuvent contrôler :
♦ Le capital à investir,
♦ Une structure de portefeuille explicite, qui précise la répartition du capital entre différentes classes d’actifs,
♦ La valeur intrinsèque* des titres qu’ils convoitent ou possèdent,
♦ Les moyens de minimiser l’impôt sur les revenus de placements,
♦ Le type de gestion de portefeuille qui correspond à leurs souhaits et compétences (7).
4 – Modifier la stratégie lorsqu’elle ne donne pas les résultats souhaités
Des investisseurs passent leur temps à changer d’idée, à transiger des titres de manière opportuniste, sans égard à une ligne de conduite établie. C’est là une réaction facile, qui ne procède pas d’une analyse rigoureuse.
La première chose à faire quand les marchés nous « testent », ce n’est pas de changer de stratégie, c’est d’adhérer à la stratégie qu’on s’est fixée.
Au minimum, une stratégie de portefeuille comporte 3 volets :
♦ Des attentes réalistes
Un problème typique est de fixer un objectif de rendement chiffré du portefeuille. Par exemple 7% par année. Fixer un objectif de rendement arbitraire n’est pas une stratégie. C’est un vœu pieux qui ne veut rien dire.
L’objectif doit être de battre le rendement de l’indice de référence (8) qui correspond à notre profil d’investisseur.
♦ Une structure de portefeuille explicite
Les investisseurs agissent de manière opportuniste parce qu’ils jouent à la bourse comme ils jouent au casino.
Le remède, c’est d’adopter une structure de portefeuille explicite et permanente qui :
® optimise le rapport risque-rendement entre les différents placements (9),
® précise les proportions de chaque type de placement et secteur dans lesquels le portefeuille est investi,
® donne préséance aux titres d’entreprises rentables qui paient des dividendes,
® s’applique peu importe les conditions du marché (10).
♦ Un comportement motivé par la persévérance, la prudence et la patience (11)
Les 3 qualités qui forment la philosophie de PORTEFEUILLE 101. Une philosophie qui rappelle 5 préceptes :
♦ Ne jamais penser que faire de l’argent est un jeu facile.
♦ Cultiver l’humilité. Ne pas prétendre qu’on maîtrise l’art du placement parce qu’on a eu du succès.
♦ Combattre la peur et la cupidité.
♦ Rester fidèle à son approche, peu importe les circonstances.
♦ Respecter toutes les étapes du processus.
La plupart des gens voient ce qu’ils veulent voir, ce qu’on leur dit de voir, ce que la sagesse conventionnelle leur dicte de voir, et non ce qui est juste devant eux dans son état le plus primitif. C’est la grande misère des idées reçues.
Il est beaucoup plus difficile qu’on pense de se défaire du confort qu’elles procurent. En prendre conscience est la première étape pour s’en affranchir.
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(1) Le besoin d’appartenance est un besoin de base dans la pyramide de Maslow. Il s’identifie au besoin d’affection et de socialisation.
(2) Selon Richard Bernstein, ex-stratège en chef de Merrill Lynch. Aujourd’hui gestionnaire d’actifs de $14 milliards.
(3) Le meilleur actif à détenir.
(4) La supériorité des stratégies fondamentales.
(5) Le rendement supérieur des titres à dividendes.
(6) La piètre valeur des prédictions boursières
(7) Comment choisir entre la gestion active et indicielle ?
(8) Bâtir un indice de référence
(9) La diversification : un concept-clé mais incompris
(10) La structure du portefeuille.
(11) Les 3P de PORTEFEUILLE 101
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FAQ
Quelles sont les idées reçues qui concernent la bourse?
Voici 4 idées reçues, fort répandues, mais qui sont toutes fausses. Investir en bourse est 1) trop compliqué, 2) demande beaucoup d’argent, 3) est très risqué, 4) équivaut à de la spéculation à court terme.
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Est-ce que les commentaires des analystes financiers sont utiles?
Dans le cas des PME, les recherches d’analystes professionnels donnent des informations critiques que le public et les médias ignorent. Or, il s’agit d’informations dont les investisseurs doivent tenir compte pour évaluer correctement les titres convoités.
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Investir est-il un jeu qui en vaut la chandelle ?
Des études démontrent que les probabilités de gains à la bourse augmentent considérablement lorsque les périodes investies sont plus longues. Sur un horizon de 10 ans, la probabilité de gain de la bourse canadienne est de 95%.
Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.
Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).
À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.