Prophètes de malheur ou vendeurs de rêves
13 décembre 2019
Tous les jours des experts prédisent le rendement des marchés financiers. On parle ici d’experts crédibles : des analystes financiers et des économistes renommés, à l’emploi de sociétés de courtage ou de banques dotées d’imposants services de recherche.
Le but de leurs prévisions est évidemment d’aider l’investisseur à comprendre le contexte économique et à guider ses choix d’investissements.
“Prediction is hard, especially about the future.”
– Yogi Berra
Plusieurs prévisions sont appuyées de données pertinentes
Des experts produisent des études fort intéressantes et documentées. Ce qui les amène à énoncer des prédictions bien étayées sur l’état de l’économie et des marchés financiers.
Le phénomène n’est pas récent. Cela fait des décennies que des experts prédisent le comportement de l’économie et des marchés financiers. Maintes fois, leurs prédictions ne se sont jamais réalisées[1] :
- Le 22 octobre 1929, l’un des économistes les plus réputés de l’époque, Irving Fisher, déclarait que le marché boursier allait grimper de façon significative au cours des prochains mois. Deux jours plus tard, l’indice Dow Jones chutait de 23%. Puis, entre le 24 octobre et le 13 novembre, l’indice Dow Jones a encore perdu 17%. Une baisse de 40% en trois semaines.
. - En 1987, l’économiste Ravi Batra publiait un livre The Great Depression of 1990, un best-seller qui a occupé le premier rang du New York Times Best-Seller List. Comme le titre l’indique, la thèse centrale du livre était qu’une crise économique était non seulement imminente, mais qu’elle serait particulièrement sévère. Cette prédiction ne s’est jamais réalisée. Les années ’90 furent une période de croissance économique, au cours de laquelle la bourse américaine a connu un rendement moyen de 18% par année.
. - En septembre 2011, le réputé économiste Nouriel Roubini prédisait l’imminence de la seconde Grande Dépression. « I thought a few months ago that the perfect storm would be 2013, but now, the economic weakness in the U.S., eurozone and U.K. is front-loaded. So we're going to double-dip earlier. The climax of it could be 2013 or it could be already earlier»[2] . Le résultat? En 2013 et 2014, la bourse américaine a atteint des records, avec des rendements respectifs de 30% et 11%.
. - Le commentateur financier Peter Schiff est devenu célèbre notamment parce qu’en 2006, il avait prédit que le marché immobilier chuterait vers la fin des années 2000 (ce qui s’est produit). Mais en 2010, il prédisait que la politique d’assouplissement monétaire (quantitative easing) de la banque fédérale américaine allait créer une hyper-inflation, ce qui allait éventuellement mener à la destruction du dollar américain. Il avait aussi prédit que l’once d’or allait atteindre $5,000 en 2012. Que s’est-il passé? Entre 2010 et 2018, le taux d’inflation s’est maintenu autour de 1,7%. L’once d’or a atteint son sommet, soit $1,917, en 2011. Depuis, le prix a baissé et s’est maintenu sous la barre de $1,500 de 2013 à 2019.
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Notre article Prédire le marché : un exercice passionnant cite plusieurs prédictions récentes qui se sont révélées inexactes.
Qu’en pense l’investisseur moyen?
Les prévisions constituent le maillon faible du processus d’investissement. Pourtant, les experts ne sont pas les seuls à en faire. L’investisseur moyen a aussi des idées arrêtées sur le sujet.
Le pessimiste
Il n’investit pas étant d’avis que l’exercice est beaucoup trop risqué. Quelquefois, il se justifie en disant qu’il n’y connaît rien et qu’il n’a pas l’intention d’aller plus loin. Il aime aussi conforter sa décision de ne pas investir dans une vision apocalyptique de l’avenir des marchés. Une vision qui n’a rien à voir avec ce que l’histoire nous enseigne.
Résultat : ses avoirs sont « investis » dans des instruments financiers (dépôts, obligations, etc.) qui produisent des rendements anémiques. Ou pire, ses fonds sont détenus sous forme d’encaisse dans un compte de banque. Année après année, il s’appauvrit par rapport à celui qui participe à la hausse des marchés.
Le rêveur
Lui, il rêve de succès immédiats. Il investit comme il joue au casino. Il transige des titres de façon impulsive, sans trop les analyser, sans diversification adéquate, sans structure et sans mécanisme de protection. Il est persuadé qu'il a la recette pour réaliser des gains rapides. Jusqu’au jour où survient une crise de laquelle il sort plus pauvre qu’avant.
Mais d’où viennent ces comportements ?
D’une certaine façon, notre vision du monde influence notre façon d’investir. Mais on ne nous a jamais appris comment construire une vision du monde.
Cette vision du monde origine de notre éducation, de nos expériences et de relations avec nos pairs. Elle est entretenue par nos lectures de journaux, les émissions TV, les sites web que nous consultons, les opinions de ceux qui font partie de notre groupe de référence.
En l’absence d’une formation objective, nous nous construisons une vision du monde basée sur des biais cognitifs. Les biais cognitifs sont des mécanismes intellectuels qui permettent de porter des jugements rapides ou de prendre des décisions moins laborieuses qu'un raisonnement analytique qui tiendrait compte de toutes les informations pertinentes [3].
« J’ai appris que pour être prophète, il suffisait d’être pessimiste »
- Elsa Triolet
La vision du monde est généralement négative
La vision qu’ont les gens de l’avenir est généralement plus négative que positive. Pourquoi? C’est en grande partie à cause du biais de négativité [4].
Le biais de négativité est un phénomène selon lequel les individus sont davantage marqués par les expériences négatives que positives, qu'ils accordent plus d’importance aux informations négatives que positives et qu'ils en tirent plus d'enseignements.
Des études démontrent que les personnes très instruites qui écoutent régulièrement les nouvelles ou lisent les journaux nationaux ont des visions du monde indûment pessimistes[5].
On ouvre un journal, on syntonise un canal de nouvelles pour y apprendre quoi? Des problèmes économiques, des catastrophes naturelles, des dégâts environnementaux, du terrorisme, jusqu’aux crimes et accidents de notre quartier.
Non pas que ces faits soient faux, mais parmi tout ce qui arrive de bien ou de mal dans le monde, les médias choisissent de parler de ce qui ne va pas. Parce que les mauvaises nouvelles se vendent mieux que les bonnes. Personne n’est intéressé d’entendre parler des vols d’avions qui se sont terminés sans accidents, des manifestations qui se déroulent pacifiquement ou de dirigeants de compagnies qui aident les bonnes œuvres au lieu de commettre des fraudes. Les malheurs et les dangers attirent l’attention des citoyens…et des vendeurs de publicité média.
Dans son ouvrage Bad is Stronger than Good, le psychologue Roy Baumeister a démontré que les nouvelles négatives ont beaucoup plus d’impact sur nous que les nouvelles positives. On agit face aux menaces; on ne porte pas attention aux bonnes nouvelles.
Comment le biais de négativité influence l’investisseur: l'exemple de 2018
C’est bien connu : tous les krach boursiers ont été accompagnés de liquidations massives de placements de la part des petits investisseurs (1987, 2000, 2008, 2011). Tout récemment, entre octobre et décembre 2018, les bourses américaine et canadienne ont connu des chutes brutales de 14% et 11%. Dès les premières secousses de baisse, la nouvelle a constitué une primeur journalière dans les journaux, à la TV et dans les blogs internet.
Conséquence : un grand nombre d’investisseurs ont liquidé leurs positions. Le volume des transactions a été à ce point important que le mois de décembre 2018 a été, dans l’histoire de la bourse, l’un des pires mois qu’ont connus les fonds mutuels gérés activement.
Qu’est-il arrivé par la suite? Deux mois plus tard, fin février 2019, les marchés avaient complètement effacé les pertes du dernier trimestre de 2018! Aussi, entre le 30 novembre 2018 et 2019, les bourses américaine et canadienne ont connu des rendements de 17,5% et 15%!
Ceux qui sont sortis du marché à l’automne 2018 ont perdu une partie (parfois significative) de leur capital pour les mauvaises raisons.
« Plus on est dans le confort, plus on est sensible aux petits moments d’inconfort »
- Michel Serres
Le biais de négativité est si fort que nous venons à penser que le monde était bien meilleur dans le passé. Et qu’au train où vont les choses, on s’achemine vers des catastrophes imminentes. Mais, est-ce bien le cas?
Considérons les éléments suivants :
- Les droits des femmes, des noirs et des homosexuels se sont améliorés;
- Plusieurs pays ont maintenant un système de santé universel;
- Les coûts de la santé sont élevés, mais une raison est que les gens vivent plus vieux;
- Les maladies infectieuses et les nouveaux cas de cancer sont en diminution;
- La mortalité infantile est en baisse;
- L'extrême pauvreté touchait 85 % de la population mondiale en 1800, 50 % en 1966, 9 % en 2017 ;
- Les automobiles sont plus sécuritaires;
- L’esclavage légal a été éradiqué;
- Les énergies renouvelables vont enregistrer une croissance de plus de 50% d'ici 5 ans (2024) [6]
- Le taux de criminalité au Canada est en baisse depuis deux décennies [7]
- Nos organismes de réglementation financière disposent de pouvoirs beaucoup plus étendus.
- Le filet social est plus solide,
- L’avènement d’internet a démocratisé l’accès à la connaissance.
On pourrait continuer la liste. Non pas qu’il faille occulter de graves problèmes que nous vivons. Mais, au travers de ses imperfections, reconnaissons que le monde évolue et ne court pas à sa perte.
“Optimism is an essential ingredient of innovation”
- Robert Noyce, fondateur d’Intel
Les racines du succès
Le légendaire investisseur Warren Buffett est connu pour deux choses : le rendement exceptionnel de ses investissements et son optimisme légendaire. À des étudiants qui lui demandaient sa définition du succès, il avait répondu : « I’m not sure what success is; but happiness is all I am ».
Dans le rapport annuel de la fondation Bill & Melinda Gates, cette dernière écrivait un mot destiné à Buffett : « Optimism is a great asset. Your success didn’t create your optimism, your optimism led to your success.”
À l’image de Warren Buffett, ce sont les optimistes qui changent le monde. Sans optimisme, nous choisirions le statu quo, la sécurité et le confort de ce qui est familier. Mais c’est à cause de leur optimisme que les entrepreneurs choisissent le changement, l’aventure et l’inconnu. Les optimistes jouent un rôle prépondérant dans nos vies car ils dessinent l’avenir. Tandis que les pessimistes demeurent des spectateurs.
Et, en fin de journée, ce sont les optimistes qui sont les premiers à récolter les fruits du succès.
“Markets can remain irrational longer than you can remain solvent”
- Keynes
Comment l'investisseur devrait envisager l’avenir?
L’important est de prendre les mesures pour mettre la chance de notre côté. Le succès ne sera jamais garanti, mais la bonne démarche augmentera sensiblement les probabilités de succès.
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1 - Développer une attitude plus optimiste que pessimiste face à l’avenir
S’intéresser à ce qui améliore l’état de notre monde. Reconnaître les choses qui doivent être améliorées, sans tomber dans le fatalisme. S’associer à des gens qui cultivent un optimisme réaliste et une ouverture vers les autres. Faire confiance.
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2 - Garder les choses simples
On n’a qu’à mettre sa langue une fois sur une poignée de porte glacée pour savoir que c’est une très mauvaise idée. Pas besoin de faire des recherches sur le sujet.
Il en va de même pour les prévisions économiques. Comme disait un ancien patron: “Une chose est certaine : les prévisions seront inexactes ”. Il est inutile de perdre son temps à prédire le comportement des marchés.
Certains analystes financiers prétendent que plus la méthode d’analyse est sophistiquée, plus les prévisions seront exactes. Ce n’est pas vrai. À court terme, les marchés n’évoluent pas en fonction des données économiques fondamentales; ils évoluent selon l’humeur imprévisible d'investisseurs animés par la peur et la cupidité.
Une décision d’investir dans un titre ne doit jamais être compliquée. Parce qu’il existe tellement de titres de qualité, dont les données fondamentales sont saines, qui ont démontré une excellente progression au cours des années et qui récompensent leurs actionnaires avec des dividendes, des rachats d’actions et de la croissance. Investir dans ces titres requiert une méthode d’analyse simple, comme celle que propose le fondement Comment analyser un titre.
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3 - Se familiariser avec la démarche PORTEFEUILLE 101:
Une approche d’investissement explicite, structurée et basée sur des principes immuables est le meilleur rempart pour ne pas succomber au biais de négativité ou investir comme on joue au casino.
Une telle démarche comprend les éléments nécessaires pour bâtir un portefeuille capable de produire le meilleur rendement, compte tenu d’un niveau de risque limité et dont la gestion exige un minimum de temps de la part de l’investisseur moyen:
♦ Les trois (3) constats à la base d’une philosophie qui met l’argent au service de l’investisseur.
♦ Les six (6) principes qui encadrent la démarche d’investissement.
♦ Les quatre (4) principaux types de placements que l’investisseur doit connaître.
♦ Une structure de portefeuille explicite qui détermine la répartition des fonds.
♦ Les véhicules de placements.
♦ Les principaux outils d’analyse utilisés pour gérer le portefeuille.
[1] Extraits de: 5 of the Worst Economic Predictions in History, Intellectual Takeout, Luis Pablo De La Horra, August 9, 2018
[2] Roubini: Without stimulus, another Great Depression, Investment News, Sept 11, 2011
[3] Les biais cognitifs sont à la base de jugements erronés. Selon le forum Psychomedia, il existe 25 biais cognitifs fortement répandus.
[4] Le biais de négativité a fait l’objet de plusieurs études, dont celles du neuropsychologue Rick Hanson et du psychologue John Caccioppo
[5] Cité dans Redi News (Liberty Through Wealth), 16 novembre 2019
[6] Renewables 2019, Agence internationale de l'énergie (AIE), 21 octobre 2019
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