Quand la cupidité déforme la raison

Marmotte

D’aucuns trouvent stupide de croire en une marmotte qui a 50 % de chances de prédire correctement la météo de la prochaine saison. Pourtant, nous donnons foi à des conjectures qui ont beaucoup moins de chances de se réaliser.

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Le triomphe de la marmotte

Le 1er février 2023, la marmotte Wiarton Willie a mis le nez dehors, incapable de voir son ombre. Ainsi, fût la prédiction si attendue : l’hiver se terminera plus tôt et nous aurons un printemps précoce.

Les gens trouvent l’exercice sympathique. C’est un clin d’œil à la morosité de l’hiver, une occasion de rire un peu. Mais la grande majorité sait que ça n’a rien de scientifique et qu’aucune donnée objective n’en supporte la conclusion. Même si le fait d’y croire ne changerait pas grand-chose à notre sort, on se range à la raison, sachant que ce n’est qu’une fable.

Néanmoins, on n’hésite pas à investir dans des projets qui n’ont encore rien prouvé et dont les probabilités de succès ne sont guère plus grandes que les prédictions de la marmotte. On aime croire aux promesses d’experts auto-proclamés et suivre les mouvements de foule enhardis par la cupidité du moment.

Lorsque la fête prend fin, le retour à la réalité ne fait pas de quartier.

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Mais le pire, c’est que des professionnels payés pour investir avec compétence et circonspection, se laissent séduire par le chant des sirènes (1).


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La compulsion d’investir en territoire inconnu

On a beau dire qu’on ne se laissera pas prendre une autre fois.

Les promesses de fins parleurs et les conjectures les plus folles arrivent toujours à attiser la cupidité qui sommeille au cœur d’investisseurs autant novices qu’aguerris. L’attrait d’investir dans des concepts qui font rêver, mais qui n’ont encore rien prouvé, finit souvent par triompher.

1 – Les cryptomonnaies

Selon le Centre Anti-Fraude du Canada, les pertes liées à la fraude financière « signalées » ont atteint le record de $530 millions de dollars en 2022, soit 40% de plus qu’en 2021. Ces fraudes sont surtout liées aux cryptomonnaies (2). Dans le monde, les pertes liées aux seules escroqueries de cryptomonnaies se sont élevées à $6 milliards (3).

À noter que le rapport prend soin de spécifier que ce chiffre ne représenterait qu’une infime partie des infractions vu que la plupart des gens sont trop gênés pour admettre qu’ils se sont fait avoir !

Cela étant :

13 % des Canadiens possèdent des actifs liés aux cryptomonnaies,

31 % prévoient en acheter au cours des 12 prochains mois,

La plupart n’ont pas les connaissances pratiques, juridiques et réglementaires qui en justifieraient la propriété (4).

La valeur présente des cryptomonnaies en circulation est de US$800 milliards, dont 40% pour le Bitcoin (5).

Or, près de 60% des propriétaires de cryptomonnaies américains sont des milléniaux* bien qu’ils ne représentent que 30% de la population. Une génération qui, comme celles qui l’ont précédée, est peu familière avec la gestion de l’argent (6). La situation est d’autant plus triste qu’en date de ce jour, le Bitcoin se transige à un peu plus que la moitié de sa valeur du début de 2022 !

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Mais le pire, c’est que des gestionnaires professionnels, dont on n’ose douter des compétences, se sont fait prendre :

® Silvergate Capital

Le 8 mars 2023, Silvergate est mise en liquidation.  L’entreprise aidait les investisseurs institutionnels à échanger sur les plateformes de cryptomonnaies. Elle fit son introduction en bourse en 2019. Pour donner une idée de son importance, elle avait déclaré une perte de $1 milliard au 4e trimestre 2022.

Partie d’un sommet de $227 à fin 2021, l’action a graduellement perdu 99% de sa valeur en 2022. Deux de ses plus importants actionnaires, Blackrock et Vanguard, détenaient 15% du capital.

® Silicon Valley Bank (SVB)

C’est peut-être l’une des plus grandes faillites bancaires depuis 2008. Il s’agit de la 16e plus grande banque américaine, avec des dépôts-clients de $200 milliards.

SVB était une banque pour les entreprises en démarrage. Elle les accueillait avant que les grands prêteurs ne s’en soucient. Elle leur prêtait, alors que les autres banques étaient réticentes. La descente aux enfers de l’industrie des cryptomonnaies n’est pas la seule cause de la débâcle de SVB. Mais, elle en est en partie responsable car la banque finançait plusieurs jeunes entreprises impliquées dans l’industrie des cryptomonnaies. En retour, ces entreprises plaçaient leurs liquidités chez SVB !

À eux seuls, les fonds Vanguard détenaient plus de 20% du capital de SVB.

® FNB* investis dans des entreprises de cryptomonnaies

Un FNB* de cryptomonnaies permet d’investir dans un ensemble de sociétés opérant dans cette industrie. Il existe un nombre limité de ces FNB parce que la SEC* affirme qu’il y a trop de questions sans réponse pour en permettre l’accès sans créer de risque excessif pour les investisseurs.

Malgré ces restrictions, 22 FNB Blockchain/Bitcoin ont été approuvés par la SEC. Leur capitalisation combinée excède $1 milliard (7). Cela exclut la valeur marchande des cryptomonnaies (ex : bitcoins, etc.) détenues.

Leur performance est médiocre : les FNB de la catégorie « cryptomonnaies » ont perdu près de 3% par année depuis 5 ans et 48% depuis un an (8).

® Des caisses de retraite qui se sont laissé séduire

Le Régime de retraite Teachers a investi US$75 millions dans FTX International, aujourd’hui en faillite.

La Caisse de dépôt et placement du Québec a perdu US$150 millions dans Celsius Network LLC, en faillite.

Comme pour s’en excuser, le chef de la direction de la Caisse a justifié l’investissement en arguant qu’à l’époque, la Caisse tenait à « saisir le potentiel de la technologie blockchain » et que l’investissement dans Celsius avait peut-être été fait trop tôt (9).

Effectuer un investissement spéculatif de $150 millions pour « saisir le potentiel » d’une technologie en démarrage !  Qui sera imputable de cette décision ? Probablement personne.

Fort heureusement, le Régime de Pensions du Canada n’a pas commis la même erreur. Les événements ont donné raison à son président (10) qui avait déclaré  que l’important est d’abord de « connaître la valeur intrinsèque (11) des actifs dans lesquels on investit ».

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Mais qu’importe. Même chez les gestionnaires professionnels, on trouvera des récidivistes en mal de prouver leurs talents de « visionnaires ». Le Financial Post cite l’un d’entre eux qui souligne que « la bulle se déplace d’un endroit à l’autre car l’argent doit aller quelque part ».

La prochaine bulle pourrait être l’intelligence artificielle.


2 – L’intelligence artificielle

Le domaine de l’intelligence artificielle (IA) connaît des avancées technologiques spectaculaires. Comme dans toute industrie en développement, on croit que ses applications seront illimitées.

On avance que le marché de l’intelligence artificielle va passer de $200 millions en 2015 à plus de $90 milliards d’ici 2025. Mais ça ce n’est rien.  Selon le cabinet-conseil PWC, l’industrie ajouterait $15,7 trillions à l’économie mondiale dès 2030 (12). Rien de moins!

De son côté, le World Economic Forum (WEF) estime que l’IA va créer au moins 133 millions d’emplois et en supprimer 75 millions (un solde positif de 58 millions).

De nouveaux outils d’IA, tels que ChatGPT, appellent à l’émergence de nouvelles entreprises qui vont devenir le cœur de l’industrie.

Il semble y avoir trois façons d’investir  dans l’IA :

1. Des entreprises en démarrage (startups)

De jeunes entreprises cotées en bourse (Sprout Social, Sprinklr, Appier Group) se développent mais sans être encore rentables. Leurs rendements boursiers depuis 5 ans (ou leur date d’entrée en bourse si moins de 5 ans) sont tous négatifs.

D’autres startups pourraient rapidement faire leur apparition en bourse après avoir reçu le financement de départ qui leur permettra de démarrer leurs opérations (ex : Character AI et Inflection AI).

2. Des FNB* qui détiennent des participations dans des entreprises d’IA

Les FNB IA sont la solution pour les investisseurs qui misent sur l’IA mais qui veulent éviter la complexité de la sélection des actions individuelles.

Il existe 30 FNB* d’IA négociés sur les marchés américains. Leur actif total s’élève à US$6,5 milliards (13).

Le plus important d’entre eux affiche une capitalisation de $1,5 milliards (soit près de 25% du total). Sur les 5 dernières années, son rendement est nul. Il affiche une perte de 20% depuis un an.

3. De grandes entreprises technologiques qui elles-mêmes investissent dans l’IA

C’est une course contre la montre. Les grandes entreprises technologiques se précipitent pour investir dans l’IA alors que les progrès technologiques évoluent rapidement. Les chiffres sont gigantesques.

Microsoft vient de confirmer un investissement de l’ordre de $10 milliards dans OpenAI.

Alphabet : jusqu’à maintenant, on ne connaissait pas l’importance des investissements dans le domaine de l’IA. Mais, pour démontrer l’importance que l’entreprise y accorde, ces investissements vont être divulgués séparément dans ses rapports financiers publics. Il y a à parier que les sommes seront faramineuses.

Amazon :  l’IA est présente dans tous les aspects des activités de l’entreprise. L’appareil Alexa en témoigne. Amazon fournit également des services d’IA aux clients du cloud AWS, d’où l’entreprise génère la majorité de ses revenus.

Apple : c’est l’entreprise qui investit le plus dans le domaine. Le cabinet Global Data indique qu’entre 2016 et 2020, Apple a acquis le plus grand nombre de sociétés d’IA (plus de 25), surpassant des joueurs-clés comme Accenture, Alphabet et Microsoft.

Au-delà de ces entreprises, la liste est encore longue. On parle d’investissements qui comptent dans les milliards de dollars par d’autres mégas entreprises comme Nvidia, Salesforce, Tesla, Accenture, etc.

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C’est pourquoi bien des gestionnaires professionnels vont continuer à perdre de l’argent en investissant dans de nouvelles sociétés en apparence prometteuses, susceptibles de révolutionner le domaine de l’IA, mais incapables, faute de moyens, de rivaliser avec les géants de la haute technologie.

Dans le domaine de l’IA, la solution qui offre le meilleur rapport risque-rendement est d’investir dans un panier de grandes entreprises technologiques établies, déjà très rentables et disposant de ressources financières considérables.


3 – Le lithium

Le lithium est probablement l’une des ressources les plus populaires parmi les investisseurs du monde entier. Le prix du métal a connu une hausse vertigineuse depuis 10 ans :

Aussi, les titres de producteurs et les FNB* d’entreprises engagées dans la production de lithium ont connu des rendements faramineux au cours des 3 dernières années : plusieurs titres ont quadruplé.

À court d’investissements dans les années 2010, l’offre mondiale de lithium tente de rattraper son retard. Une situation exacerbée par deux choses :

Une demande croissante attribuable à la production de véhicules électriques.

Des délais anormalement longs de mise en service d’une exploitation minière (jusqu’à 7 ans) (14).

Alors que la demande continue de l’emporter sur l’offre, on s’attend que les prix continuent de monter.
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Mais pour combien de temps ? Les avis sont partagés.

D’une part, le cabinet-conseil Benchmark Mineral Intelligence, estime qu’un excédent est peu probable avant 2026. Et ce ne serait qu’une situation temporaire.

D’autres croient le contraire :

® Cathie Wood, présidente des fonds ARK, est d’avis que l’offre de lithium sera rapidement excédentaire.

® Goldman Sachs prévoit que l’offre augmentera rapidement, en raison des nombreux projets des sociétés minières.

Si bien qu’on pourrait constater un surplus de lithium dès cette année ! D’ici 2025, Goldman pense même que l’offre pourrait excéder la demande de près de 25%. Résultat : les prix passeraient de $54 000 la tonne à $11 000, une baisse de 80% ! (15)

Tout cela est sans compter que de nombreuses alternatives aux batteries à base de lithium sont en cours de développement. Des alternatives moins chères, plus efficaces et moins nocives pour l’environnement.  Ceci pourrait modifier le mode de stockage de l’énergie.
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Quoi conclure :

L’enthousiasme vis-à-vis cette industrie est palpable. Sauf qu’il est impossible de dire si la demande va continuer de propulser les bénéfices des entreprises du secteur.

Le lithium demeure un territoire inconnu, tellement récent et spectaculaire est son succès.

Chose certaine, l’euphorie, même si elle est le lot de gestionnaires professionnels, n’est jamais sage conseillère. Les mouvements de foule sont rarement justifiés et toujours excessifs.

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À la lumière de ceci, celui qui désire investir directement dans des entreprises ou des FNB* dédiés à cette industrie, devrait prendre le temps de bien peser ses options.


Conclusion

Il faut éviter de croire qu’une industrie représente l’avenir. Plusieurs industries existantes se métamorphosent graduellement pour intégrer les nouvelles connaissances et les nouvelles technologies. De cette évolution émergent de nouvelles entreprises qui vont perpétuer la marche du progrès.

On peut énumérer des dizaines, des centaines « d’industries du futur » :

® L’impression en 3 dimensions

® Le nuage informatique (cloud computing)

® L’agriculture verticale

® Les énergies alternatives

® Les Esports

® Les véhicules autonomes

® Les drones

® La télémédecine

® Le cannabis

® La formation à distance

® Les robots médicaux

® Les vaccins à base d’ARN messager

® La cybersécurité

® Les aliments synthétiques

® L’internet des objets

Toutes ont la possibilité de révolutionner notre avenir. Mais, comme investisseurs, il faut résister à l’euphorie qu’elles peuvent susciter.

Toujours résister à l’euphorie. Car l’euphorie ne procède pas d’une quelconque raison; c’est un mouvement de foule auquel on se sent confortable de participer.

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La meilleure chose à faire en 2023 est d’arrêter de rêver et de chercher la perle rare. Plutôt revenir à l’essentiel :

® Une structure de portefeuille explicite et permanente.

® Une préférence marquée pour les titres à hauts dividendes d’entreprises rentables.

® Un comportement guidé par la persévérance, la prudence et la patience.

Rien d’exaltant.


« Si vous trouvez qu’investir est excitant, vous ne faites probablement pas beaucoup d’argent.
Bien investir est ennuyeux »

(George Soros)

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(0)

(1) Le piège des industries émergentes.
(2) 4 top scams currently making the rounds, CPA Canada, 9 mars ’23.
(3) The Chainalysis 2023 Crypto Crime Report.
(4) Selon un sondage de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.
(5) Cryptocurrency statistics 2023, Bankrate.
(6) L’atout caché des Milléniaux.
(7) Best Blockchain ETFs Of March 2023, Forbes, March ’23.
(8) CIBC Premium Edge.
(9) FTX meltdown shows Canadian crypto investors need more protection, Financial Post, Nov 9 ’23.
(10) John Graham, président et chef de la direction de Investissements RPC.
(11) Le meilleur actif à détenir.
(12) Sizing the prize: what’s the real value of AI for your business…, PWC, 2017.
(13) Artificial Intelligence ETF Overview, ETF.com
(14) Investing in Lithium, Canstar, Sept 26 ,22.
(15) Will there soon be a surplus of lithium, The Economist, June ’22.

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FAQ

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Comment définir l’intelligence artificielle?

L’IA est la simulation de l’intelligence humaine par des machines. Ses capacités vont d’une IA assez simple, appelée « étroite », à une IA avancée, appelée « générale » ou « supérieure ». Les applications de l’IA sont déjà très répandues et englobent les algorithmes de recherche ou la reconnaissance faciale.

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Quels sont les effets du lithium sur le corps humain?

Le lithium est utilisé pour traiter la manie et prévenir les épisodes de manie et de dépression. Parmi les effets secondaires courants du lithium, citons la soif, un besoin accru d’uriner, des nausées, un gain de poids et un léger tremblement des mains.

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Quel est le principe des cryptomonnaies?

Les cryptomonnaies sont des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la blockchain (chaine de bloc). Cette technologie s’appuie sur un registre décentralisé et un protocole informatique crypté.

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