Protéger le rendement : une priorité en temps de crise

8 mai 2020


Une crise boursière n’est jamais planifiée. Elle frappe toujours trop fort, sans avertir. Et, quoiqu’en disent des experts en des temps plus calmes, la peur s’installe… C’est pour cela que les cours dégringolent si violemment.

Pour survivre à la tourmente, il y a un principe à respecter…


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Une crise boursière…comme l’Hydre de Lerne

Prédire une crise boursière, c’est comme prédire qu’il va pleuvoir prochainement. Qu’elle se produise demain ou le mois prochain, son arrivée est toujours imminente.

Même lorsque les marchés semblent correctement évalués, il y a toujours des raisons de douter. Parce que l’investissement boursier n’est pas une science : on le pratique en fonction de règles empiriques qui ne font pas consensus. À moins de mettre son argent sous le matelas ou de l’investir dans des obligations gouvernementales (1), aucun rendement n’est garanti.

La bourse, même dans un marché haussier, n’est jamais un havre de paix.


Des suspensions de dividendes sur fond d'incertitude

À fin avril 2020, le nombre d’entreprises américaines qui ont suspendu leur dividende est plus élevé qu’au cours des 10 dernières années combinées (2). Des entreprises parmi les plus connues : Boeing, Ford, GM, Delta, Macy’s, Goodyear, Estée Lauder, Marriott.

Au moment d’écrire ces lignes, Goldman Sachs avise ses clients que les coupes de dividendes vont représenter des baisses de l’ordre de 40% au cours de 2020. Citigroup estime que les dividendes des entreprises européennes vont être coupés de 50% (3)

Au Canada, on ne compte encore qu’un nombre limité d’annonces de coupes de dividendes parmi les 230 entreprises indicielles (CAE, Gildan, Inter Pipeline, …), auxquelles s’ajoutent une série d’entreprises de capitalisation intermédiaire (Uni-Sélect, MTY, Richelieu, A&W) (4)

Comme toutes les autres crises boursières, celle-ci est différente. Il faut ignorer ceux qui prétendent que ce n’est qu’une passade comme les autres. Affirmer une telle chose c'est refuser d'admettre qu'on ne saisit pas la complexité d’une situation où la santé mondiale, les conflits de super puissances et des niveaux d’endettement sans précédents risquent de produire un cocktail explosif.

Personne ne sait quelles seront les conséquences à long terme de cette crise qui évoque l’Hydre de Lerne.

La question : comment gérer son portefeuille sur fond de telle incertitude?


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La palme d’or des conseils insipides

Depuis le début de cette crise, des conseillers financiers sentent le besoin d’émettre toutes sortes d’avis dont on se demande qui y trouvera une quelconque utilité.

En voici qui se partagent la palme d’or des platitudes. Ils sont tous émis par des professionnels assez importants pour qu’on les publie récemment dans les pages d’un grand quotidien de Montréal:

 Il faut adopter une approche fiduciaire, soit préserver ses acquis et être plus prudent.

 Le nouveau retraité doit revoir son profil d’investisseur, rétablir sa répartition d’actifs en fonction de sa tolérance au risque.

♦  Il faut rechercher les leaders de demain, soit les entreprises agiles qui se transforment facilement et qui n’ont pas de dettes.

♦  Gérer le risque passe par une diversification du portefeuille adaptée à vos besoins.

Ces commentaires sans substance sont de médiocres généralités qui ne servent qu’à entretenir le désarroi de l’investisseur. Ce qu’ils dénotent, c’est que trop de professionnels rémunérés sont toujours incapables de contribuer au débat, précisément lorsque cela serait utile.

Un conseil : ne prêter aucune attention à ce genre de commentaires sans substance de soi-disant experts.


Des stratégies axées sur la protection du capital

Sur fond de crise, d’autres experts suggèrent des mesures qui visent à minimiser les risques de moins-value du portefeuille :

→ Augmenter l’encaisse

→ Acheter des dépôts à terme/obligations gouvernementales

→ Investir dans les métaux précieux

→ Acheter des options de vente (puts)

→ Vendre des options d’achat couvertes (covered calls)

Ces stratégies mettent l’emphase sur la protection du capital.

Or, à mesure que le temps passe, ces stratégies causent des pertes de rendement qui se cumulent. Ces pertes de rendement équivalent à des pertes de capital. À long terme, les stratégies axées sur la protection du capital accumulé coûtent très cher.

Il faut éviter de sous-investir. Car c’est une recette pour s’appauvrir.


 

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Un principe cardinal à respecter

Peu importe les circonstances, l’investisseur ne doit céder à la peur ou au cynisme. Il doit rester focalisé sur un principe cardinal: protéger le rendement de son portefeuille.

Car c’est le rendement accumulé qui compose l’essentiel du capital futur.

Le fondement Comprendre les notions de risque et de rendement explique qu’après quelques années, le rendement cumulatif du capital constitue la partie la plus importante du capital investi.

La perte de rendement constitue le risque principal contre lequel l’investisseur doit se prémunir.


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Quatre (4) étapes pour protéger le rendement et réaménager le portefeuille

Lorsque la crise survient, il y a deux comportements à éviter:

A – Liquider massivement son portefeuille

B - Ne rien faire.

Une approche responsable est proactive. Elle comporte 4 étapes :

1 - Au départ, s’assurer qu’on dispose de liquidités suffisantes;

2 - Investir temporairement dans des titres alternatifs pour protéger le rendement du capital;

3 - Identifier les industries les moins affectées, voire celles qui profiteraient de la crise;

4 - Identifier les entreprises les plus résilientes.


 

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Lorsque la crise survient, s’assurer qu’on dispose de liquidités suffisantes

Plus la crise boursière est majeure, plus cela prendra de temps pour savoir comment y réagir. Ce qu’on observe, c’est que les cours chutent rapidement et violemment. En 1929, 1987, 2001, 2008 et 2020, les cours ont toujours chuté dans des proportions de 20% à 30% dans les toutes premières semaines.

Les marchés n’ont pas pris le même temps à se rétablir. S’ils se sont rétablis, ce ne sont pas tous les titres affectés qui s’en sont remis. Dans tous les cas, des entreprises établies ont disparu.

Étant incapables d’évaluer la situation avec le recul nécessaire en début de crise, il importe de disposer de liquidités suffisantes qui constitueront le coussin nécessaire pour faire face aux prochaines étapes.

Un niveau de liquidités suffisant dépend des conditions propres à chaque investisseur. Pour donner un ordre grandeur, les liquidités pourraient être rapidement portées à 20% de la valeur du portefeuille.

Un tel coussin permet de 1) réduire l’impact d’autres baisses éventuelles des marchés et 2) procurer des fonds qui pourraient être rapidement réinvestis si nécessaire.


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Identifier des titres alternatifs pour protéger le rendement du capital

La crise du printemps 2020 pose un problème exceptionnel : à cause de la pandémie, des centaines d’entreprises ont arrêté leurs opérations. D’autres continuent d’opérer en réorganisant leurs ressources, mais à des cadences fortement réduites. Résultat : des coupes substantielles de dividendes.

Or, on ne peut continuer à détenir un titre à dividende…qui ne verse plus son dividende! Il importe de se départir prestement des titres qui ont suspendu leur dividende, et ceux pour lesquels on l’anticipe.

En attendant de trouver de nouveaux titres à dividende qui satisfassent à nos critères de sélection, il convient de protéger le rendement du portefeuille en investissant temporairement les liquidités excédentaires dans des titres alternatifs sécures qui vont assurer un rendement minimum :

(a) Actions privilégiées 

Les actions privilégiées contribuent à la stabilité du portefeuille, étant moins volatiles que les actions ordinaires. Pour plusieurs raisons :

→ Elles comportent un dividende qui, en plus, peut être cumulatif;

→ Le volume de transactions est beaucoup plus faible car moins d’investisseurs s’y intéressent;

 → La probabilité que le dividende soit réduit ou éliminé est extrêmement faible;

→ En cas de liquidation ou faillite de l’entreprise, elles ont préséance sur les actions ordinaires.

Présentement, plusieurs actions privilégiées de premier rang (cotées PFD-3+) offrent des rendements entre 5% et 6%. Ceci est beaucoup plus élevé que le rendement des obligations gouvernementales de 10 ans. Après impôt, l’écart de rendement est encore plus élevé.

Pour des informations complémentaires, consulter le fondement Les actions privilégiées.

(b) Fonds équilibrés à revenus mensuels

La plupart des grandes institutions financières offrent des fonds de placements équilibrés qui versent des distributions mensuelles. L’objectif de ces fonds est de procurer un revenu mensuel raisonnablement constant, tout en tentant de préserver le capital. Les sommes sont investies dans des titres d'emprunt et des titres de participations.

Ces fonds sont gérés activement, ce qui permet d’ajuster la répartition des placements selon l’évaluation qu’en fait le gestionnaire. La répartition des placements varie de 35% à 50% pour chacune des catégories Obligations et Actions.

Le rendement annuel des distributions varie de 3% à 6,5%. Étant donné un tel écart de rendement, il convient de bien vérifier cette information, de même que l’historique des distributions avant de choisir.

Les informations nécessaires sont accessibles sur Morningstar et sur le site web de chaque institution financière concernée.

(c) Fonds à capital fermé (FCF)

Pour comprendre et savoir comment évaluer ce type de placement, consulter :

→ Le fondement Évaluer les titres à dividendes

→ L’article Inclure des FCF dans son portefeuille.

Les FCF* constituent des alternatives de placements simples, surtout pour celui qui désire investir sur le marché américain. Ces placements offrent généralement de hauts rendements de dividendes, souvent payés mensuellement.

Elles sont accessibles à l’investisseur moyen qui consacre le temps nécessaire pour choisir le fonds qui correspond à son objectif. En effet, le choix d’un FCF est soumis aux critères d’évaluation décrits dans le fondement ci-haut.


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Identifier les industries peu affectées, voire qui profiteraient de la crise

À l'heure où ces lignes sont écrites, la crise de 2020 partage les industries en 3 groupes :

1- celles qui pâtissent de la crise et qui pourraient subir des changements structurels majeurs

(aviation, voyages, commerces de détail, énergies fossiles)

2 - celles qui semblent peu affectées et qui pourraient même profiter des conséquences de la crise

(consommation de base, télécommunications, santé)

3 - celles qui sont affectées, mais pour lesquelles on n’arrive pas encore à évaluer les réelles conséquences

(sociétés immobilières, assurances, énergies renouvelables)
.

Ce sont des considérations subjectives. Ceci dit, la prudence suggère de s’éloigner des industries dont la crise est susceptible d'affecter sensiblement leur rentabilité, voire leur pérennité. Dans le cas présent, ce sont celles de la première catégorie. Compte tenu de ce qu'on sait à ce jour, le risque d'y investir est impossible à mesurer.

En contrepartie, la crise permet de découvrir des industries qui pourraient profiter d’importants changements sociétaux. Le télétravail, les loisirs virtuels, la recherche biomédicale, les soins de santé sont des pistes qui méritent qu’on s’y attarde.


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Identifier les entreprises les plus résilientes

Au-delà de l’industrie, l’investisseur doit privilégier les entreprises qui possèdent les ressources et les modèles d’affaires qui permettront de prospérer en période de crise.

Comment les reconnaître?

(a) Des liquidités excédentaires et un faible ratio d’endettement

Le bilan est l’état financier qui donne les meilleurs indices de résilience en période de crise.

Les entreprises qui disposent d’importantes liquidités excédentaires et un faible ratio d'endettement* sont celles qui ont le plus de chance de traverser les crises avec succès. Plusieurs en profiteront pour augmenter leurs parts de marchés aux dépens de compétiteurs plus fragiles. D’autres réussiront à acquérir ces compétiteurs à prix dérisoire.

Il n’y a pas de chiffres magiques. Mais, des liquidités (nettes de sommes payables à court terme) représentant 10% de l’actif et un ratio d’endettement* inférieur à 1 constituent de bons points de départ.

(b) Le profil du dividende

Une entreprise qui paie et augmente annuellement son dividende en respectant un taux de distribution inférieur à 70%(5) démontre qu’elle gère ses fonds avec discipline, dans le respect des intérêts de ses actionnaires. Cela témoigne d’un modèle d’affaires résilient.

(c) Un haut pourcentage de bénéfice net sur les ventes

Plus le pourcentage est élevé, plus l’entreprise dispose de la marge de manœuvre pour absorber des baisses de prix ou de volume en cas de crise.

(d) Un bêta* faible

Des recherches tendent à démontrer que, sur de longues périodes (i.e. 10 à 20 ans), les titres les moins volatils ont collectivement réalisé une performance annuelle supérieure (voir Le bêta : une donnée essentielle). La raison serait que la sous-performance de ces titres lors des périodes de marchés baissiers est moins prononcée que leur sur-performance lors des périodes de marchés haussiers.

Un bêta faible évoque un modèle d’affaires stable et prévisible.

(e) Les commentaires de la direction et des analystes

Les déclarations récentes des dirigeants et ceux d’analystes financiers contiennent souvent des informations utiles pour évaluer à quel point les affaires seront affectées par la crise et les mesures qui sont prises pour en mitiger la portée.

On doit privilégier les entreprises qui annoncent des initiatives précises et mesurables, plutôt que celles qui émettent des généralités réminiscentes de vœux pieux.


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Une crise boursière survient quand on s’y attend le moins. Les circonstances sont toujours différentes. On plonge dans l’inconnu.

L’important est de ne jamais négliger le point cardinal de l’investisseur : protéger le rendement du portefeuille. Car, protéger le rendement est la meilleure façon de protéger le capital.

L'application diligente des 4 étapes de l'approche empirique proposée donne la chance d’en tirer le meilleur parti.


(1) Fin avril 2020, le rendement moyen des obligations (5 à 10 ans) du gouvernement canadien est de 0,5%.
(2) Wall Street Journal, 28 avril ’20
(3) The next hit to your retirement fund: Disappearing dividends, CNN Business, 1er avril ‘20
(4) La Presse, 2 mai ‘20

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