Quand les conjectures valent le prix du papier

Conjectures

On a beau démontrer qu’aucun expert n’a jamais pu prédire le comportement de la bourse. Rien n’y fait. À l’aube de la nouvelle année, on est bombardé par un déluge de conjectures sur les perspectives boursières 2023. Pour l’investisseur, tout ce verbiage ne vaut pas plus que le papier sur lequel il est écrit.

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Un déluge de verbiage

Un ami nous a récemment fait parvenir les liens vers les perspectives boursières de dix-neuf (19) cabinets de gestion financière américains. Dix-neuf!! Un exemple : le document Wealth Outlook 2023 de Citibank compte 112 pages!

Ajoutez à cela que ces cabinets publient déjà des dizaines d’articles qui abordent les perspectives boursières de la prochaine année sous différents angles. Tous cabinets confondus, on parle de centaines d’analyses financières! L’investisseur moyen prendrait des mois juste pour lire ce déluge d’informations.

On est tenté d’expliquer ce phénomène comme une opération purement marketing, assurant qu’aucun cabinet ne se sente en reste vis-à-vis les autres. Ceci dit, il est impossible de savoir si leurs volumineux documents sont lus et compris par les investisseurs. Il est permis d’en douter!

Mais ce qui nous intéresse est de savoir si ces dissertations sont utiles pour guider la stratégie de l’investisseur pour la prochaine année.

La réponse est non.


Ignorer le capharnaüm des prédictions

Avouons qu’il serait gênant pour un « expert financier » d’avouer qu’il n’a aucune idée de ce que les bourses nous réservent pour la prochaine année. Cela étant, si les experts n’avaient pas à préparer de longues dissertations sur le comportement prospectif des marchés (1), à quoi les emploierait-on ?

Il y a deux sortes d’experts : ceux qui font de vraies prédictions avec de vrais chiffres, et ceux qui se cantonnent dans des généralités. Voici ce qu’un expert de chacun des deux groupes a prédit pour 2023 :

1 – Expert #1

On prévoit que la bourse canadienne chutera de 15%. Tous les secteurs seront touchés. Aux États-Unis, les profits des entreprises baisseront d’environ 10% et la bourse chutera de 15 à 20%. L’indice S&P 500 devrait s’approcher du seuil de 3000 (au 7 janvier ’23, l’indice cote à 3 895). Parmi les pays émergents, le Mexique devrait « bien faire (?) » (2)

2 – Expert #2

L’effet réel des récentes hausses de taux sur l’économie ne se fait pas encore vraiment sentir… Ça s’en vient en 2023. Ce n’est pas parce que la récession est télégraphiée qu’elle est intégrée par les marchés.

Le marché est loin d’intégrer un scénario de recul des bénéfices plutôt probable. Dans un contexte de récession, les probabilités que les entreprises s’en tirent…sont assez faiblesLes bénéfices des entreprises seront mis à l’épreuve en 2023, mais dans un scénario optimiste, les profits s’en tireront bien dans une récession pas trop (3).

Les prédictions de l’Expert #1 sont accompagnées de diverses considérations sur le comportement probable des marchés (mise-à-jour: au terme de l’année 2023, le rendement du principal indice boursier canadien s’est élevé à +11,5%. Une énième prédiction d’expert complètement hors champ!).

Quant aux prédictions de l’Expert #2, elles n’appellent aucun commentaire tellement elles sont sirupeuses et sans substance.

Dans les deux cas, ces opinions valent exactement ce que vous payez pour les lire : rien.

Des gens croient, à tort, qu’un expert financier doit toujours avoir des opinions articulées sur les perspectives de croissance économique, l’inflation, les taux d’intérêt, la valeur des devises, les prix des produits de base et surtout, le marché boursier. Or, un trait commun qu’on retrouve chez de grands investisseurs, est précisément qu’ils se gardent de faire toutes sortes de prédictions ex cathedra sur la bourse (4).

Pourquoi ? Parce que la hausse ou la baisse des marchés boursiers à court et moyen terme (5) dépend principalement de deux choses :

1 – Des événements imprévus,

2 – Le comportement imprévisible des investisseurs.

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Que s’est-il passé depuis les 35 dernières années ?

Le lundi noir d’octobre – 1987

Les marchés boursiers mondiaux ont plongé. Aucun représentant du gouvernement n’a été abattu ce jour-là. Aucune monnaie ne s’est effondrée. En fait, il n’y avait aucune nouvelle majeure. Pourtant, les marchés du monde entier ont chuté jusqu’à 40%. Qui l’avait prédit ? Personne (sauf les experts qui prédisent un krach boursier chaque année (6)).

La guerre du Koweït – 1990

Alors qu’un optimisme prudent avait permis à l’indice boursier américain de gagner 19% en 1989, la bourse plonge de  5% en 1990, à l’annonce de la première guerre du Golfe. Quel expert avait prédit que Saddam Hussein envahirait le Koweït pour s’emparer de ses champs pétrolifères ? Personne.

L’éclatement de la bulle internet – 2000

Entre septembre 1999 et mars 2000, les investisseurs ne prennent plus la peine de choisir les entreprises, ils s’arrachent les titres boursiers dont les noms se terminent par « .com ». La rentabilité des entreprises, la qualité de leurs bilans comptent peu en cette ère où on ne jure que par la magie de l’internet. Après coup, il est facile de dire que les experts auraient dû s’en rendre compte. Sauf pour des investisseurs dont on disait qu’ils appartenaient à une autre époque (comme Warren Buffett), l’euphorie était telle qu’on imaginait des gains boursiers sans fin.

Puis, la bourse américaine a plongé de 14% entre mars et décembre 2000. Qui l’avait prévu ? À peu près personne.

La crise financière – 2008

La hausse des prix de l’immobilier et l’émergence de produits dérivés destinés à en couvrir les risques de crédit (7) étaient à l’origine de cette crise boursière. Elle a été causée par une surenchère des valeurs d’échange de produits dérivés, dépassant la capacité des institutions financières d’absorber les risques. La crise a culminé avec la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers. Entre janvier et décembre 2008, l’indice boursier américain a perdu 34%. Qui avait prédit que ça arriverait ? Personne.

Le virus Covid 19 – 2020

En 2020, un virus s’échappe de la Chine et entraîne une pandémie mondiale, une crise sanitaire, des millions de fermetures d’entreprises et la plus forte flambée du chômage depuis la Grande Dépression. La bourse plonge de 12% en 3 mois. Qui l’avait prédit? Personne.

La guerre russo-ukrainienne 2022

À fin 2021, la Russie masse des troupes à la frontière de l’Ukraine. En février ’22, elle déclenche une invasion qui va se transformer en une guerre coûteuse en argent et en vies humaines, avec des conséquences économiques encore jamais imaginées. Sur fonds d’une inflation record, les bourses s’effondrent. Qui avait prévu que ça arriverait? Personne.

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Comme l’avait déclaré un patron d’entreprise « Une chose est certaine: les prévisions se révéleront inexactes. »

Parions que cette maxime sera encore une fois confirmée en 2023.

Mais ça, les prévisionnistes s’en doutent bien. C’est pourquoi, comme toujours, ils ne seront pas imputables de leurs prédictions !


Vous ne savez quelles prédictions seront correctes qu’après le fait : quand il est trop tard.

(Robert Rolih)


Investir à long terme

À long terme, c’est une autre histoire

Dans chacun des cas décrits ci-haut, tout comme lors des autres crises boursières du 20e siècle, les marchés boursiers ont toujours retrouvé des rendements moyens positifs sur des périodes inférieures à 10 ans, mis à part deux exceptions :

1 – La Décennie Perdue

La Décennie Perdue fait suite à l’éclatement de la bulle internet. Elle couvre la période de 10 ans du 31 décembre 1999 au 31 décembre 2009. Au cours de cette période, l’indice S&P 500 a généré un rendement annuel moyen de (0,9 %).

2 – La Grande Dépression

Le krach boursier du 24 octobre 1929, surnommé le jeudi noir, marque le début de la Grande Dépression. Entre le jeudi noir et le 31 décembre 1930, l’indice Dow Jones a perdu 46%.  La débandade boursière s’est poursuivie jusqu’en 1939 avec le déclenchement de la 2e guerre mondiale.

Avec le recul, les experts ne manquent pas d’arguments pour expliquer les causes de la crise. Pourtant, les experts de l’époque n’avaient rien prévu avant qu’elle n’éclate.

Sur un siècle, il y a eu deux exceptions. Mais dans l’ensemble, les marchés nord-américains ont toujours repris leur ascension en moins de 10 ans, souvent en moins de 5 ans.

Voici comment le principal indice américain a évolué au cours des 42 dernières années :

Encore une fois, l’histoire nous enseigne 3 choses :

1 – La futilité des prédictions à court terme

À plusieurs reprises, on a démontré que les meilleurs experts sont incapables de prédire le comportement du marché boursier à court terme :

La piètre valeur des prédictions boursières,

Prophètes de malheur ou vendeurs de rêve,

Prédire le marché : un exercice passionnant…et inutile.

Il est courant que les experts mêlent leurs prédictions boursières avec leurs prédictions économiques (l’inflation, les taux d’intérêt, l’emploi, etc.).

Or, à court terme, ce sont les sentiments des investisseurs qui influencent les cours de la bourse, pas les données économiques. D’une part, ces sentiments oscillent entre la peur et la cupidité. D’autre part, les investisseurs tendent à copier le comportement de la majorité. Il s’ensuit des mouvements de foule spontanés.

C’est pourquoi prévoir le comportement des investisseurs, et donc de la bourse, est une tâche impossible.

2 – À long terme, les marchés boursiers ont des rendements positifs

À court terme, le marché boursier est imprévisible car il dépend d’événements aléatoires et du comportement largement irrationnel des investisseurs.

Mais à long terme, les marchés évoluent en fonction de deux données fondamentales : les profits des entreprises et les taux d’intérêt.

C’est pourquoi, à la bourse, le temps demeure le paramètre de rendement le plus important. L’histoire démontre que plus la période de détention est longue, plus grande est la probabilité d’obtenir un rendement positif. Entre 1935 et 2016, détenir des actions canadiennes sur n’importe quelle période de 10 ans a produit un rendement positif dans…100% des cas !

Maintenir un horizon de rendement de 10 ans est fondamental pour optimiser ses chances de succès en bourse.

3 – L’importance de protéger le rendement du portefeuille

L’investisseur moyen accorde trop d’importance à la valeur boursière de son portefeuille.

Il y voit le « petit cochon » de son enfance. Il faut arrêter de voir le portefeuille comme le prolongement de cette image émanant de l’enfance.

Le portefeuille de placements n’est pas un petit cochon : c’est une usine qui fabrique de l’argent. C’est le rendement accumulé qui compose l’essentiel du capital futur. Après quelques années, le rendement cumulatif du capital constitue la partie la plus importante du capital détenu (8).

On doit porter attention au rendement du portefeuille (9), pas à une valeur boursière qui varie tous les jours.


La particularité de ceux qui font des prévisions boursières est de bien faire paraître les diseuses de bonne aventure.

(Warren Buffett)

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(0)

(1) appelées Market Outlooks.
(2) Extrait d’une entrevue publiée sur le site du Journal des Affaires, le 16 décembre ‘22.
(3) Extrait d’un article paru dans La Presse le 7 janvier ’23.
(4) Le Graal des grands investisseurs
(5) Moins de 3 ans.
(6) Voir La piètre valeur des prédictions boursières
(7) Les Credit Default Swaps. Leur fonction était de protéger le créancier hypothécaire d’un défaut de paiement de l’emprunteur.
(8) Comprendre les notions de risque et de rendement.
(9) D’où l’intérêt de détenir principalement des titres à dividendes.

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FAQ

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Quel est le meilleur moment pour investir ?

C’est toujours le moment d’investir dans des entreprises rentables dont le cours boursier est inférieur à sa valeur intrinsèque. Cette valeur dépend des données fondamentales de performance de l’entreprise, telles que son bénéfice, son taux d’endettement, la croissance de ses revenus, etc.

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Comment un investisseur a pu limiter ses pertes durant la Décennie Perdue ?

Un investisseur qui possédait des titres à dividende a été en mesure de limiter ses pertes boursières de manière significative.

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Comment investir en bourse quand on n’y connaît rien ?

Il y a deux façons de faire. La première est de requérir l’aide d’un planificateur financier qui sera en mesure de nous guider dans la façon de bâtir un portefeuille qui tienne compte de nos besoins propres. L’autre est d’investir le capital disponible dans des fonds indiciels reconnus.

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