Prédire le marché : un exercice passionnant…et inutile

1er janvier 2019


“Markets can remain irrational longer than you can remain solvent”

John Maynard Keynes

Il ne manque pas d’experts pour nous abreuver de prédictions sur le comportement du marché boursier. Les partisans de l’approche technique sont friands de tels exercices. Ils accompagnent leurs analyses de graphiques (de préférence compliqués) et de termes sortis tout droit de mythologies anciennes (courbes de Fibonacci, haramis, chandeliers chinois, retracements, bandes de Bollinger, figures de continuation, couverture en nuage noir, seuil de Gann,…). Lire leurs dissertations donnent des sueurs froides…

Ces exercices constituent un défi intellectuel intéressant dans les cercles d’initiés.

Mais ils ne présentent aucun intérêt pour l'investisseur.

tenter de prédire le marché: en exercice futile

Les prédictions de Jeffrey Hirsh

Un des experts les plus renommés de l’analyse technique est Jeffrey Hirsch.

Hirsch est connu pour son expertise dans l’interprétation des cycles boursiers. Il est l’auteur du livre The Little Book of Stock Market Cycles. D’aucuns considèrent cet ouvrage comme la bible de l’analyse des cycles boursiers. C’est d’ailleurs son groupe de recherche qui a popularisé la fameuse expression « Sell in May and go away » que tant de soi-disant “experts” répètent ad nauseam.

Lors d’une entrevue en 2012, Hirsch a partagé ses prédictions relativement au comportement de la bourse américaine en 2013 et 2014. Son analyse prospective était basée sur une recherche ad hoc qu’il venait de compléter avec son groupe d’experts.

Sa conclusion était celle-ci : 2013 serait une année négative pour le marché des actions. L’économie mondiale était déjà au ralenti, c’était une année post-électorale et le tout était accompagné d’une série de facteurs macro-économiques négatifs. Pour 2014, il prévoyait une autre dégringolade des indices, notamment que le Dow Jones tomberait sous la barre de 10,000.

Que s’est-il passé? 2013 fût une année exceptionnelle. L’indice Dow Jones a gagné près de 26%. En 2014, l’indice a poursuivi sa progression, gagnant près de 10% (sans compter le rendement des dividendes) pour terminer l’année au-dessus de 18,000.

 

Hirsch est en bonne compagnie

Hirsch n'est pas le seul dans son groupe.

  • Un chercheur américain, Philip Tetlock, a mené un imposant projet durant lequel il a demandé à un groupe d’experts de faire des prévisions sur plusieurs indicateurs (PIB, inflation, etc.) pendant plusieurs années. Au total un projet gigantesque recensant 150.000 prédictions faites par 743 experts portant sur 199 événements mondiaux (1)

En parallèle, il a fait en sorte que des chimpanzés lancent des flèches sur les réponses possibles. Au final, les chimpanzés ont obtenu de meilleurs résultats que les experts. Telock dégage un certain nombre de conclusions relatives à ce phénomène. L'une d'entre elles est que les analyses d'experts reposent sur les connaissances du passé, de ce qui s'est produit précédemment. Le prospectiviste Bertrand de Jouvenel notait que "le technicien est souvent l'homme du passé, alors qu'une méthode éprouvée est souvent révolue ou sur le point de l'être"

De fait, les conclusions de Philip Tetlock recoupent parfaitement le commentaire de Burton Malkiel, cité dans Vaincre sa peur d'investir

  • En juillet 2018, la chaîne CNBC titrait "Charts suggest S&P 500 could make new all-time highs by the end of earnings season" (3) . L'article portait sur une analyse de Jim Cramer, hôte du populaire bulletin boursier télévisé Mad Money. Pour l'occasion, Cramer avait fait appel à Mark Sebastian, un "expert en analyse de volatilité des marchés" (Mad Money's resident expert on market volatility). Selon Sebastian, tout indiquait que l'indice S&P 500 continuerait de grimper et pourrait atteindre un sommet historique de 2,900 à la fin 2018. Qu'est-il arrivé? L'indice a perdu 17%, passant de 2,816 à 2,351 fin décembre.
    ..
  • En janvier 2019, Ray Dalio, fondateur de Bridgewater, un des plus importants fonds de couverture au monde, annonçait l'imminence d'un effondrement boursier ("ugly fallout") avant les élections de 2020(2). Selon lui, la probabilité d'une sévère récession était de 70%. Que s'est-il passé? Entre la mi-janvier et la fin février 2019, le marché américain a bondi de plus de 6,5%. Si bien qu'au début du mois de mars, Dalio a ramené la probabilité d'une récession à...35%!

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2e V - Tenter de prédire_1

Quelles leçons doit-on tirer de ceci?

1 - La valeur des arguments rationnels

Ceux qui tentent de prédire les mouvements du marché à court et moyen terme utilisent des arguments rationnels, basés sur des faits et des statistiques. Le problème c’est que les marchés évoluent de façon irrationnelle parce qu’ils reflètent les sentiments des investisseurs plutôt qu’une stricte logique économique. Les sentiments des investisseurs sont plus émotifs que rationnels. La peur et la cupidité en sont les deux ingrédients principaux.

2 - Le principal facteur de risque à court terme

À court terme, le comportement des investisseurs est un facteur de risque non quantifiable qui se traduit par des transactions fréquentes, effectuées au mauvais moment.

3 - La supériorité des stratégies fondamentales

La simple détention, pendant des dizaines d’années, de titres d’entreprises à hauts dividendes assure des rendements largement supérieurs à ceux que les adeptes des stratégies à court terme peuvent obtenir. Même quand des gourous comme Jeffrey Hirsch et Ray Dalio annoncent l’imminence d’une chute des marchés, les stratégies fondamentales (dont l’horizon de rendement est à long terme) se révèlent invariablement supérieures aux stratégies techniques. La raison est simple: le rendement à long terme est beaucoup plus facile à prévoir que le rendement à court terme. Parce que le rendement à long terme est principalement fonction des données fondamentales des entreprises et des marchés alors que le rendement à court terme est influencé par le comportement irrationnel des investisseurs.

4 - L'importance du processus de gestion

L'élément que nous contrôlons est le processus de gestion de notre portefeuille. L’investisseur doit centrer ses efforts sur l’application d’un processus qui, dans un horizon de 5 ans, procurera un rendement supérieur au marché. Les résultats seront moins volatils sur un horizon de 10 ans (voir Le paramètre de rendement le plus important).

(1) Pourquoi les experts se trompent plus que les chimpanzésContrepoints (27 juin 2017)

(2) Cité par The Equedia Letter, Yvan Lo, (Mars 2019)

(3) Cramer: Charts suggest S&P 500 could make new all-time highs by the end of earnings season, CNBC (24 juillet, 2018)

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