Chance ou habileté : les causes méconnues du succès

En matière de placement, comme dans la vie, le succès dépend beaucoup plus du hasard qu’on ne veut l’admettre. L’illusion de l’habileté est un biais cognitif tenace. Parce que ceux qui se considèrent habiles investissent beaucoup dans l’image qu’ils s’efforcent de projeter.
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Des exemples rappellent la prépondérance du hasard
1 – Les actions d’entreprises prometteuses inspirent des choix opposés
Chaque fois qu’une entreprise prometteuse fait les manchettes, les acheteurs et les vendeurs s’échangent des millions d’actions quotidiennement. Ils ont à peu près les mêmes informations sur l’entreprise. Dans l’ensemble, on suppose qu’il s’agit d’investisseurs tout aussi qualifiés.
Pourtant, ils ont des opinions opposées sur le prix auquel l’action se transigera demain.
2 – Les investisseurs inactifs ont les meilleurs rendements
Voici une histoire bien connue qui circule dans le monde financier. Fidelity Investments aurait effectué une étude de ses comptes clients les plus performants pour la période de 10 ans 2003-2013. Ils auraient constaté que les portefeuilles les plus performants appartenaient à des investisseurs qui n’avaient pas effectué de transactions depuis des années. En fait, bon nombre de ces investisseurs étaient morts. Les deuxièmes meilleurs rendements provenaient d’investisseurs qui avaient oublié qu’ils avaient des placements chez Fidelity (1).
3 – Une analyse portant sur 10 000 portefeuilles de placements mène à une conclusion contre-intuitive
Daniel Kahneman (Prix Nobel d’Économie 2002) cite une analyse portant sur 160,000 transactions boursières dans 10,000 comptes d’investisseurs.
La conclusion: les titres vendus ont mieux performé à court terme que les titres achetés pour les remplacer, même en excluant les frais transactionnels. De plus, les titres vendus ont surpassé le marché boursier de 3,2% (2).
4 – Une étude conclut que la chance constitue le principal facteur de rendement des fonds mutuels
Une étude publiée par MIT (3) a analysé divers jeux et activités pour établir dans quelle mesure l’habileté et la chance sont des facteurs de succès. Ainsi, tirer à pile ou face comporte 0% d’habileté, mais les échecs exigent 100% d’habileté.
L’étude a examiné le rendement de 45 000 fonds communs de placement entre 2005 et 2015. Elle y attribue une note de 32%, soit un peu d’habileté…et beaucoup de chance.
Les scientifiques observent que plus un jeu requiert de l’habileté, plus la performance (bonne ou mauvaise) du joueur sera prévisible.
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Dans un autre ordre d’idée :
5 – Trois (3) puissants dirigeants politiques sont arrivés au pouvoir presque en même temps
Mao, Staline et Hitler ont changé le paysage politique du 20e siècle. Lorsque chacun a été conçu, il y avait 50% de chances qu’il soit une fille. Le monde pourrait être très différent aujourd’hui si cela avait été le cas.
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Ce qu’on appelle « chance », c’est le hasard qui a bien tourné
Pourquoi accorde-t-on tant de poids à l’habileté?
Les dirigeants d’entreprise et les investisseurs qui réussissent se considèrent généralement plus compétents et plus travaillants que les gens auxquels ils se comparent. Bien sûr, le jugement a peu de poids parce qu’il est entièrement biaisé.
Attribuer le succès à son habileté plutôt qu’à la chance inspire un sentiment d’accomplissement et entretient la confiance en soi.
Invoquer l’habileté suppose que nos capacités sont les facteurs déterminants de notre succès. À l’opposé, la chance implique que les résultats résultent de causes externes, laissant croire que notre contribution est inutile. Ce que très peu de gens sont prêts à accepter!
Il y a d’autres raisons :
Nous vivons mal avec l’incertitude
Nous avons un besoin viscéral d’expliquer le pourquoi des choses. En même temps, nous aimons les histoires simples. Alors nous inventons des récits faciles à raconter pour expliquer que des succès fortunés sont dus à l’intervention de personnes qui ont fait preuve d’habileté.
Nous tirons des leçons d’histoires à succès
Nous portons davantage attention aux initiatives qui ont réussi qu’à celles qui ont échoué. D’emblée, nous admirons ceux qui sont associés aux organisations qui ont du succès. Et nous sentons le besoin d’en tirer des enseignements.
C’est peine perdue car le succès motive mais enseigne peu. L’échec est le terreau duquel on tire les meilleures façons d’apprendre.
Distorsion rétrospective
Avec le recul, des gens prétendent qu’ils avaient pourtant « vu venir le problème ». C’est une façon de revendiquer une compétence dans un domaine où ils ont failli. La prétention est facile. Mais elle est factice, car toujours exprimée après le fait.
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Le succès est trompeur : certains ont simplement été assez chanceux pour ne pas échouer
Comment intégrer le hasard dans une stratégie de placements?
La tendance à substituer la chance pour l’habileté crée un excès de confiance dans les marchés haussiers. Vous pouvez gagner de l’argent pendant quelque temps même en prenant de mauvaises décisions (comme investir dans des entreprises en démarrage ou dans des titres fétiches*).
Mais, à long terme, vos rendements seront médiocres. Parce que vous n’aurez pas respecté les 3 piliers de succès.
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L’impact du hasard dans le rendement d’un portefeuille de placements est significatif. Les attentes de rendement doivent en tenir compte. C’est pourquoi, il importe d’intégrer deux règles :
1 – Focaliser l’attention sur les éléments contrôlables
Il est renversant de constater qu’une majorité d’experts financiers continuent de focaliser leurs analyses sur des facteurs incontrôlables (taux d’intérêt, inflation, déficits publics, événements internationaux,…), dont ils sont incapables de prévoir les effets avec un minimum de précision. C’est beaucoup de verbiage pour arriver à des conclusions aléatoires.
L’investisseur doit plutôt se concentrer sur le seul élément qu’il contrôle : le processus de gestion de son portefeuille.
Un processus qui comporte deux volets :
A. La structure du portefeuille
B. L’évaluation des titres qu’il possède
Analyser le rendement du portefeuille n’est utile que si on le relie au processus.
Un processus de gestion de portefeuille inspiré des 3P ne produira pas les bons résultats tout le temps, mais la majeure partie du temps.
2 – L’importance de faire preuve d’habileté augmente à mesure que le temps passe
À la bourse, il n’y a pas de certitude. Tout est une question de probabilité. À très court terme (i.e. 1 jour) , investir dans l’indice boursier comporte une probabilité de gain de 50%. Plus la période de détention s’allonge, plus cette probabilité augmente (après un an, la probabilité est de 73%).
Le hasard (voire la chance s’il tourne en votre faveur) joue un rôle important à court terme.
Mais à long terme, les résultats dépendent davantage de l’habileté à investir en tenant compte de deux choses :
→ les réelles probabilités de succès,
→ l’application disciplinée d’un processus de gestion basé sur des principes éprouvés.
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On répète ad nauseam que les rendements passés ne pas garants des rendements futurs.
Cela étant, lorsqu’un actif affiche des rendements en progression sur de longues périodes, que voilà un facteur de choix beaucoup plus pertinent que les promesses de succès d’entreprises dont le discours est excitant, mais qui n’ont toujours rien prouvé (4).
Dans ce dernier cas, l’entreprise pourrait attribuer une bonne partie de son succès à la chance.
Dans l’autre, elle aura déjà démontré son habileté à performer sans qu’on ait besoin d’inventer une histoire.
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(1) Que l’étude existe ou que ce soit une légende urbaine, le message est sans équivoque.
(2) Do investors trade too much, University of Berkeley. L’étude a été réalisée en 1999, sous la direction du professeur Terrance Odean,
(3) Luck and the Law: Quantifying Chance in Fantasy Sports and Other Contests, Society for Applied Mathematics, 2018.
(4) On estime que 90% des entreprises en démarrage faillissent (source : Founders Forum Group, May ’25)
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FAQ
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Comme investisseur, est-ce que Warren Buffett croit à la chance?
Selon Warren Buffett, la chance est un facteur de succès important. Mais si la chance peut ouvrir des portes, c’est à l’individu de les franchir.
Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.
Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).
À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.
