Comment protéger le portefeuille d’un marché euphorique?
Rien ne semble à l’épreuve des marchés boursiers. Les rendements records des dernières années n’ont pas ralenti la cupidité des investisseurs. On est peut-être à l’aube d’une poussée boursière historique. Ou peut-être pas. La question est de savoir quelle stratégie adopter quand on ne peut distinguer le chien du loup.
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De records en records
La bourse américaine connaît des rendements records : 26% en 2023, puis 27% en 2024.
Bien que la bourse canadienne affiche un optimisme plus modéré, elle a produit des rendements de 11% en 2023 et 18% en 2024 (1).
Est-ce excessif? Des données mettent la situation en perspective:
♦ L’indice S&P 500 se transige à un ratio cours-bénéfice* de 31, largement au-dessus de la médiane historique de 18;
♦ L’indice S&P 500 Equal Weight* se transige à 23 fois les bénéfices, en sus de sa moyenne historique de 19 (2).
♦ La bourse canadienne s’échange à 23 fois les bénéfices, ce qui correspond à sa moyenne historique de 5 ans (3).
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Sans risque de se tromper, on peut invoquer deux facteurs qui ont accéléré le mouvement à la hausse:
♦ La double baisse des taux d’intérêt canadiens et américains en 2024.
♦ La victoire des Républicains en novembre, assortie de promesses de baisses d’impôt et de règlementations plus laxistes
Question: les faits portent-ils à la prudence ou à l’euphorie?
Les avis sont partagés
Les banques d’affaires demeurent divisées sur les perspectives boursières.
Est-ce que les bonnes nouvelles ont déjà été prises en compte ? Est-ce que le marché peut continuer d’augmenter à cause des deux facteurs mentionnés ci-haut ?
Quelques opinions :
* UBS estime que le S&P 500 devrait gagner 14% en 2025 (4).
* Evercore évalue que l’indice grimpera de 10% d’ici juin 2025, malgré des cours déjà fortement évalués (5).
* Stifel avertit que le marché pourrait dégringoler de 25% en 2025 (6).
* Pour Goldman Sachs, la fête est terminée. Les rendements annuels ne dépasseront pas 3 % dans la prochaine décennie (7).
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Les investisseurs amateurs ne semblent pas nerveux face aux valorisations élevées. Selon une récente enquête menée auprès de 3 000 ménages américains (8), 52 % d’entre eux s’attendent à ce que la bourse continue de monter. Il s’agit du pourcentage le plus élevé depuis la création du sondage en 1987 !.
Lorsque peu de gens anticipent de mauvais présages, ceux-ci apparaissent sans prévenir. Souvent, avec un impact démesuré.
Les marchés haussiers grimpent un mur d’inquiétude. Les marchés baissiers s’effondrent sur une pente d’espoir.
(proverbe de Wall Street)
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Comment éviter de se faire aspirer par une euphorie boursière ?
Personne n’est capable de prédire le comportement des marchés boursiers à court et moyen terme. Ne prêtez pas attention aux diseuses de bonne aventure.
Toutefois, sans présager de l’avenir, les périodes marquées de grande euphorie suggèrent d’adopter des mesures qui éviteraient de subir les pertes substantielles qui pourraient en résulter.
Différents experts préconisent différentes approches pour protéger le portefeuille de placements :
1 – Les liquidités
L’argent liquide aide à avoir l’esprit tranquille, sachant qu’il permettra de traverser les périodes d’incertitude et les soubresauts de la bourse. Par exemple, maintenir des liquidités correspondant aux besoins de fonds des 2-3 prochaines années.
2 – Les obligations classiques
Les obligations classiques* produisent des rendements plus élevés que les comptes d’épargne, mais avec un risque de perte beaucoup plus faible que les actions.
3 – Les métaux précieux
La capacité de l’or à agir comme une monnaie refuge atténue les risques en période de volatilité des marchés et d’incertitude économique. Il sert de couverture contre l’inflation. De plus, l’or a historiquement montré une relation inverse avec le dollar américain, i.e. lorsque le dollar s’affaiblit, le prix de l’or tend à augmenter.
En 2024, l’or a connu une hausse spectaculaire de 35%, surperformant le marché des actions. Pour plusieurs raisons: une inflation élevée (en train de se refroidir), des tensions géopolitiques extrêmes et l’incertitude économique à l’aube d’une nouvelle administration présidentielle américaine.
4 – Les options de vente (puts)
Acheter une option de vente* protège d’une perte advenant que les actions sous-jacentes perdent de la valeur. L’option de vente fixe un prix plancher en dessous duquel l’investisseur ne perdra pas d’argent, même si le prix de l’action continue de baisser.
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Un problème avec ces approches est qu’elles ne produisent pas (ou prou) de rendement courant (tel que des dividendes ou des intérêts).
En revanche, d’autres approches limitent le risque, mais sans sacrifier le rendement :
1 – La diversification
La diversification constitue la pierre angulaire de la théorie moderne du portefeuille* :
* Dans un marché baissier, un portefeuille diversifié aura une meilleure performance qu’un portefeuille concentré.
* Des titres faiblement corrélés offrent une protection supérieure contre l’impact de pertes de valeur du portefeuille.
2 – Les titres à dividende
Plusieurs raisons militent en leur faveur :
* Les dividendes constituent des rendements connus, réguliers et prévisibles.
* Les dividendes compensent les pertes de valeur des actions sous-jacentes et réduisent la volatilité du portefeuille.
* La croissance des dividendes minimise (souvent annule) l’impact de l’inflation.
* Les actions à dividende ont surperformé l’ensemble du marché à long terme (9).
3 – Les actions privilégiées
Les actions privilégiées sont des actions à dividende qui possèdent des caractéristiques propres. Ainsi, elles :
* comportent un niveau de risque inférieur à celui des actions ordinaires,
* procurent une source de revenu stable lorsque les rendements obligataires sont faibles,
* offrent un rendement net d’impôt (10) supérieur à celui d’obligations bénéficiant de cotes de crédit comparables,
* améliorent la diversification du portefeuille, étant peu corrélées aux obligations et actions ordinaires canadiennes.
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Immanquablement, des débâcles boursières suivent les périodes de grande euphorie. Il existe plusieurs façons d’en minimiser l’impact lorsqu’on prend les mesures en temps utile.
Dans tous les cas, une perspective à long terme des marchés boursiers est la première condition d’une stratégie gagnante.
Sans oublier les constats de l’histoire: au-delà des crises, les actions ont toujours constitué la classe d’actifs la plus rentable:
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(1) Fonds indiciel canadien TD – I. Le rendement 2024 est en date du 31 octobre.
(2) GuruFocus
(3) Canadian (TSX) Market Analysis & Valuation, Simply Wall Street.
(4) The economic ‘no landing’ could drive the S&P 500…in 2025, Business Insider, Oct ’24.
(5) CNBC, Nov 7 ‘24
(6) The stock market in a ‘mania’ that will push it higher before a potential 26% drop in 2025, Business Insider, Oct 16 ’24.
(7) The Stock Market in Trouble? A Grim Warning From Goldman Sachs…, Globe & Mail, Oct 26 ’24.
(8) US Consumer Confidence Survey, Conference Board, Oct 29 ’24.
(9) The Power of Dividends, RBC.
(10) S’applique aux actions d’entreprises canadiennes cotées en bourse.
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FAQ
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Pourquoi l’euphorie est l’ennemie de l’investisseur?
L’euphorie est dangereuse car elle naît d’un mouvement de foule. Les investisseurs achètent ou vendent les titres qu’une majorité d’investisseurs achètent ou vendent. La seule raison qui fait que le prix d’une action monte, c’est que plusieurs personnes l’achètent ! Plus le prix d’une action est élevé, plus de gens croient que ce prix est sous-évalué.
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Doit-on redouter les cycles baissiers ?
Un marché baissier se caractérise par le pessimisme des investisseurs, lequel entraîne une chute des cours boursiers. Il peut être l’occasion d’acheter des placements de qualité à prix réduit.
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Les actions et les obligations sont-elles des classes d’actif corrélées ?
Selon le diktat conventionnel, le comportement des actions est faiblement corrélé à celui des obligations. D’où la recommandation (qu’on répète ad nauseam) d’allouer 40-50% du portefeuille à des obligations et le reste à des actions. L’avis ne tient plus la route. Depuis 20 ans, la corrélation s’accroît. Si bien qu’ aujourd’hui, les deux catégories évoluent presqu’en tandem.
Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.
Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).
À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.