La pandémie provoque une hausse de la productivité
Les entreprises bousculées par une pandémie d’une envergure jamais envisagée, ont démontré qu’elles étaient capables d’adapter leurs processus de gestion avec une habileté et une rapidité inégalées. Si vous cherchez une raison d’être optimistes pour l’avenir de l’économie, en voilà une.
La productivité des entreprises stagne depuis des décennies
Jusqu’en 2020, la productivité des entreprises n’a pas évolué au rythme des améliorations que le monde a connu depuis le début du 20e siècle. Un tableau de la Banque Mondiale illustre comment la productivité a évolué au cours des 40 dernières années :
Les gains de productivité ont été faméliques. Des voix se sont élevées pour commenter le phénomène. L’économiste Robert Gordon a traduit le pessimisme ambiant quand il a dit que l’humanité risque de ne jamais inventer quelque chose d’aussi structurant (transformative) que la toilette à chasse d’eau. Dans son livre paru en 2016, il affirme que, depuis 1970, le monde avance à pas de tortue en regard des innovations qui ont marqué le centenaire précédent (1).
Pourtant, la production mondiale a augmenté considérablement
Entre 1970 et 2020, le PIB* mondial par habitant a cru au rythme annuel de 5,7%.
Il s’agit d’une croissance largement supérieure à celle de la décennie 1960-1970 (4%).
Cette accélération de la croissance du PIB a été accompagnée d’une croissance des échanges commerciaux de plus de 8% par année au cours de la même période (et de plus de 10% depuis 2000) :
Hausse de la production n’égale pas hausse de la productivité
On invoque souvent deux raisons pour expliquer l’accélération de la croissance économique mondiale :
® Les progrès réalisés en matière de transports, de communications et d’innovations technologiques,
® L’abaissement/l’élimination des barrières douanières résultant d’accords internationaux.
En réalité, c’est l’essor d’économies émergentes qui explique une telle accélération de la production mondiale. À preuve, depuis les plus récentes décennies, les deux grandes économies que sont la Chine et l’Inde ont connu des taux de croissance entre 5 et 10% par année.
Un petit pays, le Vietnam, a cru sa production de biens et services à des taux comparables, souvent plus élevés :
Constat :
La croissance de la production des pays émergents a compensé les effets d’une productivité stagnante.
Comment les entreprises améliorent leur productivité ?
Des études suggèrent que le virus Covid-19 va diminuer encore plus la productivité de nos sociétés. Cette prédiction est basée sur une étude qui démontre que les pays frappés par des pandémies au 21e siècle, ont subi des baisse de la productivité de la main d’œuvre de l’ordre de 9% comparé aux pays qui ne furent pas affectés par ces pandémies (2).
Résultat : dans tous les pays, on cherche à engager du personnel supplémentaire pour combler l’incapacité de répondre à la demande de biens et services et ce, dans à peu près tous les métiers.
Ceci illustre le diktat fort répandu que pour répondre à la croissance de la demande, on doit augmenter la quantité de main d’œuvre ou, mieux, automatiser les moyens de production des biens et services.
Un rapport du Forum Économique Mondial publié en 2020 confirme qu’une majorité d’entreprises avaient déjà entrepris d’adopter une série de technologies disruptives d’ici les prochaines années:
Le problème, c’est que l’adoption de nouvelles technologies prend du temps. Car pour les rendre économiquement rentables, les entreprises doivent modifier leurs processus administratifs et logistiques.
C’est là que le bât blesse.
Parce que cela exige de remettre en cause les structures et les habitudes de travail autour desquelles se sont construits les systèmes de gestion.
Plusieurs entreprises échouent cette étape. C’est pourquoi l’efficacité des nouvelles technologies diminue avec le temps. Graduellement, l’entreprise devient moins productive. Après quelques années, elle doit répéter le même exercice… avec les mêmes résultats.
Comme le Japon l’a si éloquemment démontré dans les années ’60, on ne peut améliorer la productivité qu’à condition de changer les mentalités et les manières de travailler. Ainsi, au lieu de rendre les vieilles méthodes de travail plus efficaces, les nouvelles technologies doivent accompagner la mise en place de processus épurés de leurs inefficacités.
Pour plagier une phrase célèbre, la productivité… ce n’est pas tout ce qui compte, c’est la seule chose qui compte (3).
La pandémie a bouleversé les modèles d’organisation d’une autre époque
La pandémie de 2020 a tout changé.
À cause d’une distanciation devenue soudainement obligatoire, des entreprises, des institutions d’enseignement, des professionnels de toutes sortes, ont dû réorganiser leurs processus d’affaires sans planification, avec des outils technologiques mal adaptés à un univers virtuel.
Sans autre préavis, une majorité d’employés ont été forcés d’accomplir leurs tâches à partir de chez eux.
Au-delà des problèmes d’organisation bien réels, un premier bénéfice (pourtant banal à première vue) est apparu: l’élimination du temps consacré à se rendre et à revenir du bureau. Un temps pouvant représenter 20 à 25% du temps de travail total d’un employé (4). Sans compter qu’il s’agit d’un temps particulièrement improductif et désagréable étant concentré sur les heures de pointe.
Le passage au télétravail a démontré à quel point l’organisation du travail était jusqu’à récemment conçue en fonction de modèles de gestion d’une autre époque. Des changements organisationnels qui auraient exigé une décennie ont été mis en œuvre en quelques trimestres. Pour la plupart des entreprises, le travail qui devait être effectué l’a été. Souvent, en moins de temps qu’avant!
Du jour au lendemain, la productivité des entreprises a explosé
Quelques mois auparavant, qui aurait cru que des employés seraient capables d’accomplir leur travail efficacement , sans qu’un patron ne les oblige à se présenter au bureau?
Si bien qu’après quelques mois de confinement, des entreprises avaient déjà décidé que des postes seraient désormais pourvus uniquement en télétravail (5).
En parallèle, l’essor de la formation en ligne et de la télémédecine a entraîné des gains de productivité significatifs dans des secteurs qui s’étaient pourtant montrés rébarbatifs dans le passé. Cela se traduit déjà par des augmentation de services à moindre coût.
Mais le plus intéressant est que ces processus, largement plus efficaces, ont été mis en place sans nécessiter d’investissements massifs dans de nouvelles technologies!
Personne ne sera surpris qu’une enquête du Forum Économique Mondial révèle que 80% des employeurs vont accélérer la digitalisation de leurs processus et faciliter le télétravail.(6)
Le télétravail a redonné le pouvoir aux employés
En éliminant le temps de transport, le télétravail permet d’augmenter le temps productif jusqu’à 25% pour plusieurs employés.
Mais, d’autres bénéfices ressortent. Chacun peut maintenant organiser son temps en fonction de ses priorités, les exigences familiales n’étant pas les moindres. Travailler chez soi permet de minimiser les pertes de temps (comme les interminables réunions au bureau, les interruptions intempestives, les collègues bruyants et ceux qui vous content leurs problèmes personnels).
Le télétravail redonne de l’importance tant à la vie personnelle que professionnelle des employés.
Aussi, un récent sondage révèle que 80% des employés aimeraient être en télétravail au moins 50% de leur temps (7).
Après 18 mois, l’organisation hybride semble faire consensus. Ainsi, le télétravail représenterait 4o à 60% des heures productives, ce qui conviendrait à une majorité d’employeurs.
Non seulement le télétravail a amélioré la productivité des entreprises mais le concept répond aux attentes des travailleurs!
Une raison d’être optimiste
Plusieurs invoquent les problèmes d’adaptation qui ont accompagné l’avènement subi du télétravail et des changements des façons de travailler qui en découlent. Ils en déduisent qu’on doit préserver des modèles d’organisation issus d’une autre époque.
Mal va leur en prendre. La crise est récente. La configuration du télétravail, bonifié par des technologies plus adaptées, n’est pas terminée. Mais des progrès sont faits à chaque jour. Les entreprises apportent les ajustements nécessaires. Le télétravail et l’utilisation d’outils de gestion virtuels sont les fondements d’une nouvelle réalité.
La pandémie a mis en lumière la capacité des entreprises à remettre en question des paradigmes qui les empêchaient d’évoluer aussi rapidement que possible. Leur capacité d’adaptation est éloquente.
Des choses considérées impossibles sont tout-à-coup devenues possibles. On a mis des années pour atteindre péniblement 10% de télétravail, et on est passé soudainement à 90%. On va trouver un équilibre entre le 10% et le 90% (8).
Si vous cherchez une raison d’être optimistes pour l’avenir de l’économie et du marché boursier, la résilience de nos entreprises en est une.
(1) Robert J. Gordon est un économiste américain, auteur du livre The Rise and Fall of American Growth (2016).
(2) Source: Banque Mondiale, étude citée par The Economist, 10 décembre ’20.
(3) Winning is not everything; it’s the only thing (Vince Lombardi, ex-entraîneur des Packers de Green Bay)
(4) Pour les bureaux de centres-villes, ça signifiait de ne plus travailler dans un environnement congestionné, pollué et hors de prix.
(5) Lire La crise et l’expansion du télétravail.
(6) The Economist, December 10 ’21.
(7) Statistiques Canada, cité par Huddle, 6 avril ’21.
(8) Éric Hazan, associé sénior du cabinet McKinsey.
FAQ
Comment mesurer la productivité?
La productivité met en relation le volume de la production par rapport à trois facteurs : 1) le coût des ressources employées, 2) le temps requis pour produire le bien/service et 3) la qualité du bien/service produit.
La concurrence favorise-t-elle les gains de productivité?
Le niveau de concurrence affecte différemment les entreprises de différents secteurs. Cependant, on peut prétendre qu’une absence de concurrence diminue la pression d’innover, de réduire les coûts et de produire un bien ou service de qualité supérieure.
Quels sont les avantages du télétravail?
Le télétravail permet de 1) diminuer les dépenses inutiles, 2) harmoniser la vie professionnelle et la vie personnelle et 3) promouvoir l’accès à l’emploi de personnes vulnérables qui auraient de la difficulté à accéder à un milieu de travail extérieur.
Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.
Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).
À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.