Investir dans l’industrie fossile : le risque et la chandelle

Industrie fossile1

L’industrie fossile continue de bénéficier du soutien indéfectible de grands investisseurs et d’institutions financières. Mais au vu des risques qui se précisent à chaque jour, il est temps de se demander sérieusement si le placement en vaut la chandelle.


Les rendements boursiers historiques

Depuis 10 ans, la bourse américaine (S&P 500) a connu un rendement de 15% par année. Pour la même période, les entreprises engagées dans l’exploration et la production de pétrole et de gaz ont eu un rendement boursier annuel négatif de 9% :


Des rendements qui plombent ceux de la Caisse de Dépôt

En 2021, un rapport de la fondation David Suzuki analyse le rendement des 50 entreprises dans lesquelles la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) détient ses plus importants investissements du secteur de l’exploitation pétrolière et gazière (1). Pour la période 2011 à 2020, le Carbone 50 a perdu 57,2% de sa valeur.

Le rapport souligne que si la CDPQ s’était départie de ces compagnies en 2011 en les réinvestissant dans le marché mondial excluant les énergies fossiles, elle aurait obtenu 16 milliards de dollars de rendements supplémentaires.


 

Des citoyens, des investisseurs et des gouvernements réagissent

Jusqu’à il y a quelques années, les assemblées d’actionnaires et les campagnes électorales étaient perturbées par les voix discordantes de groupes écologistes qui dénonçaient les dommages causés par les GES provenant des énergies fossiles.

Mais les temps ont changé.

® 2019 : l’année charnière

2019 est sans doute l’année où l’activisme contre les changements climatiques a pris une réelle ampleur. Au mois de septembre, coïncidant avec le sommet des Nations Unies sur le climat, plus de 6 millions de personnes de 180 pays sont descendues dans la rue pour exiger une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce fut la plus grande manifestation climatique de l’histoire (2).

® Exxon

En mai 2021, un groupe d’investisseurs appuyé par 3 fonds de pension majeurs, somme la direction d’Exxon de prendre les changements climatiques au sérieux. Le groupe exige notamment que la société ramène ses émissions nettes de GES à zéro en 2050. Cette « révolte »  permet au fonds Engine No 1 de gagner 3 sièges (sur 12) au conseil d’administration de la société.

® Royal Dutch Shell

En juin 2021, un tribunal des Pays-Bas ordonne à la société Royal Dutch Shell de réduire fortement l’ensemble de ses émission de GES avant la fin de la décennie. C’est la première fois qu’un tribunal oblige une entreprise privée à modifier ses pratiques commerciales pour des raisons climatiques (3).

® Des législations qui se généralisent

Plusieurs pays ont déjà décidé d’éliminer la production d’hydrocarbures (France, Espagne, Portugal, Irlande, Nouvelle-Zélande) d’ici quelques années. La Californie cessera l’extraction de pétrole et interdira la fracturation hydraulique d’ici 2024 (4).

® L’Agence internationale de l’énergie change son discours

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) n’a jamais été à l’avant-garde de la lutte aux changements climatiques. Bien au contraire. Proche de l’industrie pétrolière, elle a été créée pour assurer la sécurité et la coopération en matière d’approvisionnement pétrolier. L’AIE a toujours agi comme le rempart ultime sur lequel pouvait s’appuyer l’industrie.

En juin 2021, revirement : alors que l’AIE prévoit que la consommation totale d’énergie va continuer de croître d’ici 2040, elle publie un plan pour mener le monde à la carboneutralité (5). Elle recommande de :

® ne plus développer de nouvelles exploitations de pétrole, gaz et charbon,

® focaliser les investissements sur les énergies renouvelables,

® gérer l’élimination des énergies fossiles de façon juste et planifiée.

Pour la première fois, l’AIE prend le contrecoup de ses positions traditionnelles.


 

Le déclin des énergies fossiles s’accélère au profit des énergies vertes

Des faits confirment le déclin des énergies fossiles.

1 – Les prévisions de BP

Un des joueurs majeurs de l’industrie, la pétrolière BP, publie un rapport dans lequel elle envisage un lent déclin de la consommation de pétrole au cours des prochaines décennies. Elle prévoit que la part des énergies fossiles dans la consommation énergétique passera de 85 % en 2018 à 20 % en 2050. La part des énergies renouvelables qui était de 5 % en 2018 passerait à 60 % en 2050 (6).

 BP prévoit maintenant de multiplier par 10 ses investissements dans les énergies renouvelables.

2 – Les énergies renouvelables sont devenues compétitives

En 10 ans, les coûts des énergies solaire et éolienne ont chuté de 85% et 49% respectivement. Cela signifie que des entreprises font maintenant des profits en développant et exploitant des sources d’énergie qui contribuent à réduire les émissions de GES (7).

Selon un rapport de la banque d’affaires BNP Paribas, le pétrole, pour rester compétitif en matière de mobilité, a besoin à long terme d’une stabilité de prix de 10 à 20 dollars par baril (8). Ce scénario est « hautement improbable » selon le responsable de la recherche sur les changements climatiques de la société. De plus, un tel  niveau de prix risquerait d’affecter sérieusement la rentabilité des entreprises concernées.

4 – Les investissements dans les énergies renouvelables sont en forte hausse

Entre 2004 et 2019, les investissements dans les énergies renouvelables ont été décuplés.

5 – L’industrie automobile prend le tournant vert

L‘impact de l’industrie automobile sur le réchauffement climatique est significatif (entre 15% et 20% des émissions de GES). À lui seul, le secteur du transport représente 20% de la consommation totale d’énergie (9).

Le tableau suivant résume les engagements que des grands producteurs automobiles ont annoncés pour migrer leur production vers des véhicules électriques, hybrides ou autres dont les émissions de GES sont nulles :

L’avenir de l’industrie fossile est compté.


Comment réagissent les entreprises pétrolières?

Depuis l’accord de Paris, les grandes compagnies pétrolières consacrent des fonds importants pour se donner une image « verte » (10). Pourtant, leurs principaux investissements demeurent concentrés sur les énergies fossiles.

® Europe

En 2019, les 5 grands producteurs de pétrole n’ont alloué que 5% de leurs investissements en énergie à des projets liés aux énergies renouvelables (11) :

® Amérique du Nord

En 2018, les 6 principaux producteurs ont augmenté leurs investissements dans les énergies renouvelables. Mais ces investissements ne représentent que 1% des investissements totaux!

L’industrie réalise que la transition vers les énergies renouvelables est inévitable. Mais selon un expert de l’industrie « les compagnies pétrolières essaient toujours de comprendre comment la vache à lait actuelle peut être remplacée par une solution qui continuera d’assurer leur avenir » (12).

Conclusion : jusqu’à maintenant, les investissements massifs dans les énergies renouvelables l’ont été par des entreprises autres que les grandes pétrolières.


 

Comment investir dans les énergies renouvelables?

À ce jour, les énergies renouvelables représentent une portion limitée des investissements des grandes pétrolières. Il ne nous appartient pas de dire si et comment les entreprises pétrolières effectueront la transition vers les énergies renouvelables.

Cela étant, on peut investir dans les énergies renouvelables en achetant des :

® titres d’entreprises individuelles,

® unités de FNB* spécialisés,

® parts de fond mutuels.
.

1 – Entreprises individuelles

On peut entreprendre la recherche de titres en consultant la liste des entreprises qui font partie de l’indice CIBC Atlas Clean Energy Index. L’indice comprend les titres de 48 entreprises américaines et canadiennes engagées dans les énergies renouvelables (voir ALPS Clean Energy pour la liste complète des entreprises constituant l’indice).

Les titres des entreprises de ce secteur ont fortement augmenté depuis les 5 dernières années. Il reste que certaines sont encore à l’étape du démarrage et ne sont toujours pas profitables. En revanche, d’autres sont déjà rentables et versent même des dividendes.

Pour limiter son risque, l’investisseur individuel devrait limiter sa recherche aux entreprises établies, qui présentent un historique de rendement et qui rencontrent les critères de sélection décrits dans le fondement Les titres à dividendes.
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2 – Fonds de placements spécialisés (FNB*)

Considérant que le secteur des énergies renouvelables est destiné à évoluer de façon importante au cours de la prochaine décennie, une bonne alternative est d’y investir via un FNB* spécialisé.

Il existe un grand nombre de tels fonds. Cependant, plusieurs n’ont été lancés que dans les 2 dernières années. Ils n’offrent pas encore de données de risque et de rendement probantes. Il est préférable de se limiter à des FNB* qui démontrent un rendement sur au moins 3 ans.

Voici des exemples :

Consulter le site ETFDB pour obtenir une liste exhaustive de FNB dédiés aux énergies renouvelables.
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3 – Fonds mutuels

La plupart des sociétés de fonds mutuels offrent des fonds investis dans des entreprises de type ESG (13).

Il existe différents types de fonds mutuels comportant différentes caractéristiques et différentes structures de coûts. L’investisseur qui considère acquérir un fonds mutuels devrait obtenir l’assistance d’un conseiller spécialisé.


Conclusion

Le recours aux énergies fossiles ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Mais le déclin est inévitable. Le dernier message qui vient renforcer ce constat est que le nouveau président américain a prévu injecter 2 trillions de dollars dans les énergies renouvelables et de miser sur la technologies durables.

On se demande si les grandes pétrolières prendront les mesures pour profiter de la croissance des nouvelles énergies. À date, les faits ne sont pas concluants. D’autres entreprises y investissent massivement au risque d’occuper à elles seules l’espace concurrentiel.

Considérant les options qui s’offrent à l’investisseur, est-ce qu’un investissement dans l’industrie fossile présente un bon rapport risque-rendement ?

À court terme, la démarche peut être payante. Mais à long terme, le risque n’en vaut pas la chandelle.


(1) Le rapport désigne ces entreprises sous le nom de Carbone 50.
(2) Feeling the heat: companies under pressure on climate change, Deloitte, December ‘19
(3) The Future of the Fossil Fuel Business, Columbia Planet School, June ‘21
(4) La fin des énergies fossiles en 2050, L’Actualité, Juin ‘21
(5) La fin des énergies fossiles en 2050, L’Actualité, Juin ‘21
(6) La demande de pétrole pourrait déjà avoir atteint son pic, Radio-Canada, 14 septembre ‘20
(7) Renewables are winning the economics battle against new coal and gas, Think Progress, June ’19.
(8) Mobilité : le pétrole en sursis face au modèle « électrique & renouvelable », Tecsol, 20 août ‘19
(9) Énergie et émissions de gaz à effet de serre (GES), Gouv. du Canada, 2017.
(10) Les géants du pétrole se donnent une image verte…, Révolution Énergétique, Janvier ’20.
(11) Rystad Energy, cité par Révolution Énergétique, Janvier ’20.
(12) Cité dans How the six major oil companies have invested in renewable energy projects, NS Energy, 16 Jan ’20.
(13) Désigne les entreprises qui respectent les facteurs environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance.


FAQ

 

Qu’est qui caractérise les énergies renouvelables?

Ce sont des énergies qui existent à l’état naturel : solaire, hydroélectricité, éolien, biomasse, géothermie. Elles ne comportent aucune empreinte écologique ni résidu polluant. De plus, elles sont inépuisables par rapport aux énergies résultant d’une combustion, telles que le pétrole, le charbon, le gaz, etc.

 

Pourquoi investir dans les énergies renouvelables ?

Les énergies renouvelables n’entraînent pas les coûts environnementaux associés aux énergies fossiles, tels que la pollution atmosphérique et la production de gaz à effet de serre. De plus, ces énergies deviennent concurrentielles à mesure que leurs coûts de production sont en baisse.

 

Comment diminuer les risques d’investir dans les énergies renouvelables ?

Une première façon est d’investir dans des entreprises rentables, qui disposent de ressources financières importantes et qui démontrent un historique de rendement boursier. Une autre façon est d’investir dans un FNB* ou dans un  fonds mutuel ayant démontré un historique de rendement sur plusieurs années.

Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.

Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).

À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.

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