La piètre valeur des prédictions boursières
Les nord-américains ont besoin d’être rassurés. Ils paient des millions à des conseillers financiers, des diseurs de bonne aventure et autres prévisionnistes pour se faire dire quel sera le futur. Malheureusement, qu’il s’agisse des marchés financiers ou d’autres aspects de la vie, la réalité est souvent bien différente.
Des experts annoncent l’imminence d’un catastrophe boursière
Printemps 2021. On aurait dit que des experts se sont concertés dans les derniers mois pour annoncer l’imminence d’une crise boursière sans précédent. Voici ce que quelques-uns d’entre eux ont dit (1):
1 – Jeremy Grantham
82 ans. Fondateur et stratège en chef de GMO, une société qui gère des actifs de plus de 120 milliards $.
En octobre 2020, il annonce une bulle boursière sans précédent qui devrait exploser dans les mois, sinon les semaines à venir. Son principal argument : le marché américain se transige à un ratio cours-bénéfice* beaucoup trop élevé.
Ce qui s’est produit: entre octobre 2020 et juillet 2021, l’indice S&P 500 a gagné 35%.
Il favorise l’investissement dans les marchés émergents et les énergies vertes.
2 – Jeffrey Gundlach
59 ans. Président de Double Line Capital, une société d’investissements qui gère des actifs de 132 milliards $. On le surnomme le « roi des obligations (King of Bonds) », suite à un article paru dans la revue Barrons.
En avril 2020, il estime que le marché est tellement surévalué qu’il ramène la proportion d’encaisse de son portefeuille à 50% (2).
Ce qui s’est produit : entre mars 2020 et juillet 2021, la bourse américaine a connu un rendement de 57%.
En mars 2021, il en remet en déclarant que le marché boursier est largement surévalué. Il anticipe une baisse d’au moins 15%.
3 – Kevin O’Leary
67 ans. Investisseur et commentateur financier surtout connu pour son rôle dans la série télévisée Shark Tank.
En avril, il prédit que le marché des actions va s’effondrer, sans donner d’autres précisions. Selon lui, cela servira de leçon éducative pour une jeune génération qui n’a jamais connu de correction boursière. En 2018, O’Leary avait également déclaré que Trump avait 100% de chances d’être réélu en 2020.
4 – Robert Kiyosaki
74 ans. Conférencier, auteur de la série de livres Rich Dad, Poor Dad et président de Rich Dad Company, une société qui offre des services en matière d’éducation financière.
En juin 2021, il déclare qu’on doit s’attendre au plus grand krach boursier de tous les temps. Or, c’est ce qu’il annonce depuis près de 20 ans!
Depuis 2004, il a publié plusieurs livres dans lesquels il prévoit l’imminence d’un krach financier.
Il recommande d’investir (notamment) dans les métaux précieux.
5 – Gary Shilling
72 ans. Analyste, auteur de livres et commentateur financier dont le nom apparaît fréquemment dans la presse financière, telle que Forbes.
En avril 2021, il avertit que les marchés vont « plonger », sans donner plus de précisions. À noter : en 2015, il avait prédit que le prix du baril de pétrole (alors de 50$) allait passer sous la barre des 10$. Depuis, le prix a grimpé à plus de 70$.
On pourrait continuer la liste d’experts connus qui abondent dans le même sens: Michael Burry, Leon Cooperman, Stanley Druckenmiller, David Kelly (JP Morgan), etc.
À noter : aucun de ces experts ne s’avance pour dire quand la catastrophe se produira. Sans situer les choses dans le temps, tous sont capables de faire des prédictions qui, un jour, se réaliseront. Comme dire que la pluie suivra le beau temps ou qu’il y aura des journées très froides l’hiver prochain.
Question: en quoi des prédictions cataclysmiques sont-elles utiles, si on ne sait trop quand elles se réaliseront?
Les prédictions boursières de Harry Dent
Harry Dent, 71 ans, est un économiste, auteur de plusieurs livres et président de Dent Investment Management. Il participe régulièrement à des émissions télévisées qui portent sur les marchés financiers.
Depuis plus de 10 ans, Dent prédit l’effondrement des marchés. Mais contrairement à ses confrères, il accompagne généralement ses prédictions de dates approximatives. Voici des prédictions effectuées à différentes dates :
® En décembre 2011 :
L’indice S&P 500 va perdre entre 30 et 50%, cette fois-ci sans donner un intervalle de dates. Depuis 2011, l’indice a eu un rendement de 250%.
® En décembre 2016 :
L’indice Dow Jones pourrait plonger de 17,000 points pour s’établir entre 3,000 et 5,000 d’ici quelques années. Il recommande aux investisseurs de vendre leurs stocks et d’acheter des bons du trésor et des obligations (3). Or, au 1er août 2021, l’indice Dow Jones vaut 34,935 (entre 7 et 11 fois la valeur-cible de Dent!).
® En novembre 2020 :
À partir du mois d’avril 2021, les stocks vont perdre 40% (4). Depuis avril, les stocks ont poursuivi leur ascension.
® En avril 2021 :
Le marché va s’effondrer d’ici la fin juin (5). Rien n’est encore arrivé.
Des chimpanzés ont de meilleurs résultats que les experts
Notre article Prédire le marché : un exercice passionnant…et inutile donne de nombreux exemples de prédictions financières qui ont été carrément contredites par les événements. Des prédictions formulées par les plus grands experts :
® Jeffrey Hirsch, auteur du livre The Little Book of Stock Market Cycles, connu pour son expertise des cycles boursiers.
® Jim Cramer et Mark Sebastian, respectivement animateur et « expert résident » de la populaire émission Mad Money.
® Ray Dalio, président et fondateur de Bridgewater, l’un des plus importants fonds de couverture.
L’article cite également les résultats d’une étude menée par un chercheur américain. L’étude a analysé 150.000 prédictions faites par 743 experts portant sur 199 événements mondiaux. En parallèle, l’auteur a fait en sorte que des chimpanzés lancent des flèches sur les réponses possibles.
Le résultat final : les chimpanzés ont obtenu de meilleurs résultats que les experts.
Les ingrédients du succès
Les prédictions boursières constituent le maillon faible de la gestion de portefeuille. L’expérience démontre qu’elles sont inutiles.
Avant de donner de l’importance aux prédictions d’experts pour gérer son portefeuille, il convient de se rappeler un certain nombre de choses :
. À court terme, les marchés boursiers fluctuent selon les sentiments des investisseurs, principalement la cupidité et peur. Or, il est impossible de prévoir l’humeur des investisseurs. C’est pourquoi, il est aléatoire de faire des prédictions boursières à court terme (moins de 3 ans). À long terme, les marchés évoluent en fonction de deux données fondamentales : les profits des entreprises et les taux d’intérêt.
. Il se trouve toujours quelqu’un pour dire que les marchés vont s’effondrer. C’est une affirmation facile et inutile parce que, généralement, personne ne dit quand. Comme dire qu’un jour il va pleuvoir. Et dans les rares cas où un expert s’avance sur un calendrier, il se trompe la plupart du temps.
. Liquider son portefeuille parce qu’on prédit une correction boursière a deux conséquences : 1) La possibilité de sauver une partie du capital, 2) La certitude de perdre le rendement que le capital produisait.
. Beaucoup plus d’argent a été perdu par des investisseurs qui anticipaient des corrections que d’argent perdu à cause des corrections elles-mêmes (Peter Lynch).
. Dire que la bourse est trop chère ne veut pas dire que la majorité des titres sont chers. Quelques titres ont une influence considérable sur les ratios de la bourse (exemple : Tesla en 2020).
. La décision d’investir dans un titre doit être basée sur ses données fondamentales, pas sur des considérations subjectives, ni sur des opinions glanées sur les réseaux sociaux. À ce sujet, consulter La structure du portefeuille.
. La valeur boursière d’un titre n’est pas importante. Ce qui est important, ce sont les recettes que ce titre produira tant qu’on en sera propriétaire. Un exemple : le dividende trimestriel d’une des grandes banques canadiennes était de 0,14 en janvier 2000; il est de 1,08$ en juillet 2021. En excluant le fait que les actions de la banque sont passées de 7,50$ à 127$ durant cette période, l’actionnaire a perçu un rendement annuel de dividende qui a cru de 10% par année.
. À la bourse, le temps est le paramètre de rendement le plus important. La solution ultime est de conserver un horizon de rendement à long terme, idéalement de 10 ans.
Le marché boursier permet de transférer l’argent de l’investisseur impatient à l’investisseur patient.
(Warren Buffett).
(1) Certaines données sont extraites de 8 stars de Wall Street annoncent un krach boursier, Business Insider (France), juillet ‘21
(2) Jeffrey Gundlach: 50% in Cash, Summary of J. Gundlach’s interview on CNBC, April 28 ‘20.
(3) Dent predicts ‘once in a lifetime’ market crash, says Dow could plunge 17,000 points, CNBC, Dec-11 ’16.
(4) Harry Dent: Stocks to crash 40% by April and won’t rebound for decades, Kitco News, November 25 ’20.
(5) The market will collapse by the end of June’? Really ?, Market Watch, April 19, ’21
FAQ
Peut-on prévoir si le prix d’une action va monter?
Il est probable que le prix d’une action monte au cours des prochaines années si elle se transige actuellement à un ratio cours-bénéfice* raisonnable et si on anticipe que ses revenus et ses bénéfices croîtront dans le futur.
Pourquoi la bourse monte?
La bourse monte lorsque les acheteurs sont prêts à payer plus d’argent pour acquérir des titres que ce que les vendeurs demandent. La plupart du temps, le prix d’un titre représente le dernier prix payé par un investisseur.
La bourse a-t-elle tendance à monter ou à descendre?
Les probabilités de gains augmentent considérablement lorsque les périodes investies sont plus longues. Par exemple, un placement sur une période de 10 ans a une probabilité de gain de 95%. Aussi, plus la période de détention est longue, plus l’écart-type entre les rendements positifs et négatifs diminue.
Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.
Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).
À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.