Pourquoi l’euphorie est ennemie de l’investisseur?
Printemps 2021. Près de 600 milliards $ ont été investis dans les fonds d’actions américains depuis 5 mois. C’est plus qu’au cours des 12 dernières années! S’il y a une chose dont l’investisseur doit se méfier, c’est d’une euphorie partagée par la majorité.
Se méfier du consensus des investisseurs
600 milliards $ investis dans des fonds d’actions américains en 5 mois. C’est plus qu’au cours des 12 dernières années (1). Résultat? Le principal indice boursier américain a gagné 50% sur 12 mois et 90% sur 13 mois.
Le consensus est qu’à mesure que la pandémie sera circonscrite, l’économie va s’ouvrir, les activités mises en pause vont reprendre. L’épargne excédentaire des ménages, créée par l’injection massive de liquidités et par des taux d’intérêt quasi nuls, va alimenter une extraordinaire consommation.
Alors, où est le problème? Le problème, c’est que tout le monde le sait (ou, en tous cas, le pense). Le célèbre investisseur Bernard Baruch disait que ce que tout le monde sait ne vaut pas la peine d’être su.
En matière d’investissement, on ne gagne pas en croyant ce que croient les autres, mais en sachant ce qu’ils ne savent pas.
Ici, l’histoire se répète: des titres boursiers sont valorisés à des niveaux records, qu’on ne peut pas rationaliser (2).
Clairement, l’euphorie des investisseurs atteint un sommet.
Les cryptomonnaies : le nouvel investissement spéculatif
Depuis un an, il y a un nouvel investissement « in » : les cryptomonnaies. On en recense déjà plus de 4000! De ce nombre, BitCoin et Ethereum représenteraient 60% et 15% de la valeur du secteur. En un an, leur cours a respectivement triplé et quintuplé! Selon un article paru dans un quotidien français, 67% des milléniaux estiment que le BitCoin est la meilleure valeur refuge actuelle. Les 20-40 ans considèrent que le Bitcoin est un investissement plutôt sûr à long terme (3).
Il ne s’agit pas de prédire si les cryptomonnaies constitueront, à terme, des investissements rentables. Il s’agit de savoir lesquelles, s’il en est, constituent de bons investissements présentement. Ce qui est certain, c’est que plusieurs questions sont sans réponse. Entre autres, des joueurs économiques importants, dont les gouvernements, n’ont pas encore décidé si et comment les cryptomonnaies seront intégrées à notre activité économique.
En conséquence, on peut se demander pourquoi des jeunes gens, sans expérience boursière et souvent peu familiers avec les questions financières, spéculent massivement sur un secteur dont le rôle, l’avenir et les principaux joueurs restent à définir.
Un parallèle avec la bulle boursière des années ‘90
On se rappelle l’enthousiasme qui régnait vers la fin des années ’90. La bulle Internet touchait alors les entreprises d’informatique et de télécommunications. Cette période effervescente a été marquée par de nombreux regroupements et transactions d’achats d’entreprises, ce qui dopait les évaluations boursières. En même temps, les investisseurs individuels disposaient de fonds importants à investir. Ils l’ont fait sans retenue.
Portées par l’enthousiasme général, les valeurs boursières des entreprises technologiques ont connu des hausses vertigineuses. Entre mars 1998 et mars 2000, l’indice Nasdaq a gagné 156%. D’autant que l’indice comprenait un grand nombre d’entreprises émergentes qui ne gagnaient pas d’argent.
Des entreprises comme Amazon et eBay ont survécu à la crise, mais beaucoup d’autres ont rendu l’âme. Entre mars 2000 et octobre 2002, le Nasdaq a perdu 78%. Au Canada, l’exemple de Nortel est sans doute celui qui fût le plus médiatisé. Après avoir touché un sommet de 124$ en septembre 2001, l’action ne valait plus que 0,47$ deux ans plus tard. Des fortunes colossales ont été perdues.
Ce dont on se souviendra, c’est qu’à l’aube de l’année 2000, l’euphorie des investisseurs était palpable. Tous étaient sûrs de leur coup.
Aujourd’hui, les marchés boursiers sont-ils trop chers?
On se réfère à deux indicateurs pour déterminer si la bourse est chère par rapport à ses moyennes historiques : le ratio cours-bénéfice* et les taux d’intérêt.
1 – Ratio cours-bénéfice*
Actuellement, la bourse américaine se transige à un ratio de 42 (4). Sur les 50 dernières années, le ratio moyen est de 19,6. Cela étant, depuis 5 ans, la bourse américaine se transige à un ratio moyen de 27 (5).
2 – Taux d’intérêt
Plus les taux d’intérêt sont bas, plus la valeur des titres aura tendance à augmenter puisque les investisseurs ne peuvent obtenir des rendements élevés sans s’exposer aux risques de l’investissement boursier. Le niveau quasi nul des taux d’intérêt actuels explique en partie pourquoi le ratio cours-bénéfice de la bourse est plus élevé que ses moyennes historiques.
Malgré des taux d’intérêt très bas, les marchés boursiers sont chers.
Cependant,
…cette observation est utile à celui qui investit dans l’indice boursier correspondant, via un fonds indiciel*.
En revanche, celui qui investit dans des titres individuels ou dans des fonds communs non corrélés aux indices boursiers, est peu intéressé de savoir si le marché est cher. Il est intéressé de savoir si les titres (ou les fonds) qu’il détient sont raisonnablement évalués.
Un marché hétérogène qui recèle des opportunités d’investissement
Les analyses qui traitent de l’état du marché boursier se réfèrent souvent à la performance et à la valorisation des indices boursiers. Si l’indice S&P 500 se transige à un ratio cours-bénéfice de 42, cela représente une moyenne pondérée de la valorisation de l’ensemble des entreprises qui forment l’indice. Or, l’indice regroupe plus de 500 entreprises.
Le ratio de 42 est aucunement représentatif de la valorisation d’entreprises individuelles. Ainsi, les ratios cours-bénéfice (C/B) des 10 entreprises américaines suivantes s’écartent significativement de cette moyenne:
De même, le tableau suivant illustre la divergence de valorisation des différents secteurs économiques représentés dans l’indice S&P 500:
La bourse est un marché hétérogène. Le fait que l’ensemble du marché soit surévalué ou sous-évalué ne préjuge pas de la valorisation d’entreprises individuelles qui composent l’indice.
Chaque entreprise doit être analysée en fonction de ses propres données fondamentales. Peu importe la valorisation du marché boursier, il se trouvent toujours des entreprises dans lesquelles il est profitable d’investir.
L’euphorie : un sentiment inconciliable avec l’investissement boursier
L’investisseur a deux ennemis : la peur et la cupidité. Ce sont des sentiments extrêmes qui poussent à des décisions irrationnelles.
En mars 2020, la peur était omniprésente. En avril 2021, l’euphorie triomphe. L’euphorie, mère de la cupidité.
Cette euphorie est surtout présente chez les jeunes investisseurs. La ruée vers les cryptomonnaies (voir-ci-haut) en est le parfait exemple. Une enquête de la revue MagnifyMoney indique que la majorité des investisseurs âgés de moins de 40 ans sont membres de communautés d’investissements (telles que Reddit). Plus de la moitié d’entre eux s’en remettent aux médias sociaux pour obtenir conseil en matière de placement boursier (6). Le titre de l’article (voir en bas de page) est à tout le moins révélateur!
L’euphorie est dangereuse car elle naît d’un mouvement de foule. Les investisseurs achètent ou vendent les titres qu’une majorité d’investisseurs achètent ou vendent. Voyons où est le danger:
Une façon de faire de l’argent à la bourse, c’est d’acheter bas et vendre haut. La réalité c’est que:
♦ Le prix d’une action est bas lorsque peu de gens croient que le titre va monter.
♦ Le prix monte quand une majorité de gens croient que le titre est sous-évalué.
La seule raison qui fait que le prix d’une action monte, c’est que plusieurs personnes l’achètent! Plus le prix d’une action est élevé, plus il y a de gens qui croient que ce prix est sous-évalué.
Le comportement d’un troupeau est rarement précédé d’une analyse rigoureuse de données fondamentales.
Comme au début de l’an 2000, des investisseurs euphoriques sont sûrs de leur coup.
Si vous trouvez qu’investir est divertissant, vous ne faites probablement pas d’argent.
Bien investir est ennuyeux.
(George Soros)
Quelle est la recette pour combattre l’euphorie?
1 – Éviter les titres « dont tout le monde parle »
Les titres qui suscitent un enthousiasme démesuré chez les investisseurs amateurs, notamment les tuyaux que tous s’échangent. Une primeur connue d’une majorité de gens ne vaut pas grand’ chose. Si la primeur est vraie, des centaines de professionnels sont au courant depuis longtemps, auquel cas, le prix du titre le reflète déjà. Un titre populaire est cher, du seul fait qu’une majorité d’investisseurs l’ont déjà acheté.
2 – Choisir des titres sur la base de données objectives
On achète ou on vend un titre selon que ses données fondamentales rencontrent ou non des critères d’évaluation objectifs. Voir Choisir et évaluer un titre.
3 – Se méfier des conseillers financiers « hot », avec qui il paraît bien d’être associé
Se tenir loin des grands bavards, des vantards, de ceux qui ont réponse à tout. Ils n’impressionnent qu’eux-mêmes. Se méfier de ceux qui brandissent les solutions faciles. L’investissement boursier n’est pas une science. Il n’existe pas de certitude. Les vrais professionnels font preuve d’humilité.
4 – Savoir que s’il est facile de faire de l’argent, c’est qu’on est chanceux.
5 – Combattre autant la peur que la cupidité.
6 – Rester fidèle à son approche, peu importe les circonstances.
(1) CNBC Markets (citant un rapport de Bank of America), 9 avril ’21. Voir l’article.
(2) À ce titre, consulter l’article de Investors Business Daily du 29 mars ‘21.
(3) La Dépêche, 14 décembre ’20.
(4) Multpl.com/s-p-500-pe-ratio, 26 avril ‘21
(5) Quel rendement peut-on espérer de la bourse ?
(6) Survey Of Retail Investors Shows The Blind Lead The Blind, Advisor Perspective, 5 avril ’21.
FAQ
Est-ce le temps d’acheter des actions en bourse?
Peu importe les circonstances, il se trouve toujours des titres dont l’évaluation est justifiée sur la base de leurs données fondamentales (rentabilité, croissance, ressources financières, position concurrentielle, …). Une recherche structurée et l’aide d’un conseiller spécialisé aideront à identifier les candidats.
Quelles sont les qualités d’un conseiller financier exceptionnel?
Il propose une approche de placement explicite et structurée. Il parle un langage que son client comprend. Il compare la performance des portefeuilles qu’il gère à des indices de référence pertinents. Il anticipe les préoccupations de son client et répond diligemment à ses demandes.
Y’a-t-il un risque d’investir dans les cryptomonnaies?
Un des principaux risques est que la réglementation des cryptomonnaies est en constante évolution. Le cadre juridique existant n’assure pas toujours une protection suffisante aux consommateurs achetant des biens ou services au moyen de cryptomonnaies. Un autre risque est que la sécurité des plateformes d’échange et des transactions de cryptomonnaies n’est pas toujours garantie.
Cet article a été rédigé par Marc-Olivier Desmarais, CPA, Pl. Fin.
Il est planificateur financier indépendant. Sa pratique est encadrée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et par l'Institut de Planification Financière (IPF).
À travers les articles de Portefeuille 101, son objectif est de contribuer à la littératie financière et de stimuler la réflexion en matière de finances personnelles.