Les pièges du succès – I

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Le paradoxe d’Icare* guette autant les entreprises que les individus. Il importe de savoir que des entreprises dans lesquelles on a investi notre patrimoine pourraient être touchées. En prendre conscience est la première étape pour limiter le prix qu’on aurait à payer le cas échéant.

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Quelle est l’espérance de vie d’une entreprise?

On croit que la majorité des entreprises survivent plusieurs décennies. Ce n’est pas le cas :

Selon une étude du gouvernement américain, 80% des entreprises ont une durée de vie inférieure à 20 ans (1).

En 1965, la durée de vie moyenne d’une entreprise cotée en bourse était de 32 ans. En 2020, elle était de 21 ans.

La baisse de longévité des entreprises est une tendance à long terme. On s’attend à ce qu’elle diminue davantage au cours de la prochaine décennie :

Plusieurs éléments peuvent expliquer le phénomène.

L’un d’entre eux est que des entreprises échouent en raison de leur propre succès.


Pourquoi des entreprises prospères deviennent les artisans de leur insuccès

La recherche de la réussite occupe la majeure partie de notre vie, qu’elle soit professionnelle ou personnelle. Cela étant, une étude réalisée par un groupe de recherche de l’Université de Londres avait démontré à quel point le succès peut être davantage un piège qu’un tremplin (2).

Si on n’y prend garde, le succès ouvre la porte à l’échec. Car il devient une entrave à notre capacité d’apprendre.

Trois biais cognitifs en seraient la cause:

1 – Les erreurs d’attribution

Celui qui expérimente le succès tend à l’attribuer à ses propres compétences, à son modèle d’affaires, à ses habiletés de stratège. On fait peu de cas du rôle que les facteurs extérieurs et les événements aléatoires auraient pu jouer.

Le raisonnement devient tout autre en cas d’échec. Les événements et intervenants extérieurs deviennent soudain importants.

2 – L’excès de confiance

Le succès augmente la confiance en soi. Le problème est qu’une confiance excessive favorise le maintien du statu quo, la recherche du confort et, conséquemment, le rejet de critiques qui remettent en question les comportements adoptés.

3 – L’incapacité à se questionner

L’incapacité se manifeste dès lors que le succès se confirme. Influencés par les deux premiers biais, les gens deviennent incapables d’identifier les causes réelles d’une bonne performance.

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Le succès d’une entreprise peut entraîner sa déroute lorsque ses dirigeants:

♦  deviennent arrogants, paresseux, gâtés par un optimisme excessif quant à l’avenir,

♦  se révèlent incapables de gérer une entreprise dont la croissance a créé une complexité qui dépasse leurs compétences.


Les comportements-types qui mènent à l’échec

Le danger devient apparent lorsque la conjoncture change, que des revers imprévus (3) se produisent.

La réaction est d’appliquer des raisonnements programmés, développés au fil des années. Sans l’avouer, on veut retrouver le succès, mais préserver le confort des acquis.

La formule initiale de succès devient une formule d’échec.

1 – Les modèles d’analyse deviennent des œillères

Les entreprises développent des modèles d’analyse destinés à interpréter la réalité de l’entreprise.

Le problème est que ces modèles posent toujours les mêmes questions. Face à un problème existentiel, les dirigeants se demandent : 1) Dans quel secteur d’activité sommes-nous ? 2) Qui sont / que font nos concurrents ? 3) Que pensent nos clients? 4) Comment réduire les coûts?

C’est le genre de questions routinières que posent des consultants à la pige. Elles peuvent être parfois utiles, mais rarement pour résoudre des problèmes existentiels.

Au moment de lancer l’entreprise, on ne posait aucune de ces questions. L’idée était de réaliser un rêve avec la créativité et l’enthousiasme de ceux qui n’ont pas d’acquis à préserver.

2 – Les processus de gestion deviennent routiniers

Lorsque les entreprises veulent innover, elles le font dans le cadre de processus qui ont fait leurs preuves dans le passé. Plus elles ont de l’expérience, plus les processus sont rigides. Un  processus éprouvé est efficace car les employés possèdent l’expérience pour bien l’exécuter.

Le processus devient le produit fini. L’important n’est pas tant le résultat que le respect du processus.

3 – Les relations établies deviennent des menottes

On est loin de contester l’importance d’entretenir de solides relations avec les clients, les employés, les fournisseurs, les créanciers et les investisseurs.

Mais lorsque les conditions changent, les « bonnes » relations peuvent devenir des menottes. Préserver à tout prix des relations exceptionnelles avec des clients risque d’entraver la capacité d’innover au-delà de ce que les clients disent vouloir. Parce que les seules choses que les clients connaissent, ce sont les produits existants. Les clients ne sont guère sources d’innovation.

4 – Les avantages compétitifs deviennent des dogmes

Les avantages compétitifs d’une entreprise sont les éléments qui la différencie. Ils constituent les raisons qui convainquent ses clients d’être et de demeurer clients. Ce sont des thèmes qui aident les équipes à avoir une vision commune  et travailler à l’atteinte d’objectifs communs.

Le risque est qu’avec le temps, ils deviennent des dogmes qu’on ne remet plus en question, ni même qu’on tente d’adapter à un environnement extérieur qui évolue.

L’histoire est parsemée d’exemples d’entreprises célèbres et prospères qui sont mortes (ou moribondes), incapables de faire évoluer leurs avantages compétitifs: Polaroid, Netscape, Wang, Sun Microsystems, America Online, Xerox, Digital, Sears, Toys«R»Us, Kmart, Nortel, Revlon, Compaq, JC Penney, Tupperware, Bombardier, BlackBerry,

On pourrait penser que ce ne sont que des exceptions. C’est loin d’être le cas.


Conclusion

Le succès encourage, mais seule la défaite enseigne.

Dans un prochain article, nous verrons :

Pourquoi une crise est souvent la seule issue pour amener un réel changement au sein d’une entreprise.

Comment réduire le risque d’investir dans une entreprise susceptible de connaître l’échec dans un avenir proche.

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Nota: Certaines thèmes abordés dans cette chronique ont été inspirés de l’article « Why good companies go bad » paru dans Harvard Business Review (Juin ’99).

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(1) Business Employment Dynamics, US Bureau of Labor Statistics.
(2) Success Traps, Dynamic Capabilities and Firm Performance, University of London, Aug ’14.
(3) Recul du chiffre d’affaires, rentabilité en baisse, départ du personnel clé, projets en pause ou hors contrôle,…

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